Les effets de la crise sur le logement et le renouvellement urbain à Budapest

Krisztina Keresztély, 2012

Collection Passerelle

Cette fiche expose les dérives du renouvellement urbain en Hongrie, depuis la crise des subprimes. Par-delà la gentrification qui induit une exclusion des populations défavorisées à l’extérieur des centres-ville, les politiques urbaines hongroises actuelles, et particulièrement à Budapest, n’ont eu de cesse de criminaliser les pauvres et les exclus, parmi lesquels les Roms sont les plus nombreux.

La crise en Hongrie et son effet sur le logement

La Hongrie est parmi les pays européens où la crise financière a eu un effet particulièrement dévastateur sur le marché du logement, un secteur représentant déjà avant la crise un point sensible pour la société car repoussé systématiquement par les politiques nationales et locales relatives à la ville.

A partir de 2007, mais surtout de 2008 et 2009, le nombre des nouvelles constructions a sensiblement diminué partout en Hongrie, Budapest n’y faisant pas exception. Or, le boom de l’industrie du bâtiment atteint au milieu des années 2000 y était lié aux grands investissements engagés par des sociétés internationales. Ces dernières, souvent d’origines espagnole, irlandaise, israélienne, ont construit des parcs résidentiels de taille, de localisation et de prix différents (dans le centre-ville tout comme dans les quartiers périphériques) où une grande partie des logements était destinée à des investisseurs étrangers. Ce type de développement immobilier s’est pratiquement arrêté à Budapest, laissant des traces dans le tissu urbain dans le cas des projets inachevés ainsi qu’un certain nombre de logements vacants dans les sites déjà construits : selon les résultats du premier semestre de 2012, 20 à 25 % des logements construits entre 2007 et 2012 n’ont pas été vendus1. Bien sûr la répartition des appartements vacants n’est pas équilibrée : sont particulièrement concernés les grands sites résidentiels réalisés dans les périphéries de la ville, où, au lieu des sites de rêve promis dans les annonces (avec piscine, école, fitness, etc.), on ne trouve que des bâtiments entourés par le désert ou comme on l’appelle en hongrois la puszta2.

La part des logements neuf parmi les transactions de vente en Hongrie

Années2008200920102011
Proportion de logements neufs9,15 %9,11 %5,32 %3,97 %

Source : Otthon Centrum (agence immobilière)

Le tableau ci–dessus indique la diminution des transactions immobilières. De son côté, le rapport annuel de la Banque nationale hongroise3 souligne que la baisse des prix du logement suite à la crise était moins forte en Hongrie que dans un grand nombre de pays européens – en particulier, plusieurs pays de l’Est (comme les pays baltes, la Bulgarie, la Slovénie) ou l’Irlande. Dans ces pays, les prix de l’immobilier ont connu une hausse particulièrement forte juste avant le début de la crise, tandis qu’en Hongrie cette hausse avait eu lieu bien avant, à la fin des années 1990-début des années 2000.

La crise du logement en Hongrie et à Budapest n’est pas liée à la pénurie. Si le nombre de logements vacants est difficile à estimer en raison du manque de statistiques cohérentes, il suffit d’ajouter au nombre des logements neufs mentionnés plus haut, celui des logements vacants qui se trouvent dans le parc ancien, souvent en propriété publique (des collectivités locales). Selon le rapport annuel 2012 de l’association Habitat for humanity, 11,5 % des logements sont vacants ou utilisés pour d’autres usages que l’habitat4. Selon l’inventaire du mouvement associatif A város mindenkié (La ville pour tous), rien que dans le VIIIe arrondissement, le quartier le plus défavorisé de Budapest du point de vue de la composition sociale et de la qualité du bâti et du logement, 500 logements municipaux sont vides5.

Schématiquement, deux principaux effets de la crise de logement peuvent être soulignés :

  1. la vulnérabilité d’un nombre de plus en plus considérable de ménages ;

  2. le renforcement des tendances à l’exclusion et à la criminalisation de la pauvreté

dans une période où l’accès au logement digne devient un rêve de plus en plus éloigné pour une partie croissante de la population.

La croissance de la vulnérabilité des ménages

En Hongrie, la décennie 2000 était celle de l’endettement d’une grande partie de la population. De nombreux ménages ont pris des crédits hypothécaires à base de devises étrangères, et notamment de francs suisses, proposant des taux d’intérêts moins élevés que les crédits hongrois. En raison de la dévalorisation de la devise hongroise-Forint (HUF), dès le début de la crise financière6, les dettes et leurs intérêts calculés toujours sur la base des devises étrangères, ont brusquement augmenté. En 2010, dans 25 % des cas, la valeur de la dette a dépassé la valeur de l’habitat servant de base au montant du prêt7. Toujours selon le rapport de la Banque nationale, en 2010, 90 000 ménages ont été en situation de « prêts problématiques », c’est-à-dire dans l’incapacité pendant plus de trois mois d’honorer le remboursement du crédit8.

Le moratoire des expulsions, introduit par le gouvernement en 2010 a été levé en juillet 2011. Depuis, le nombre des biens immobiliers mis aux enchères a considérablement augmenté, à tel point que le délai d’attente pour le lancement d’un procès peut atteindre plusieurs années. Les mesures prises par le gouvernement pour l’allègement de la situation ne concernent que les ménages relativement aisés9.

Les politiques du gouvernement intervenant auprès des ménages endettés ne concernent que les crédits hypothécaires. Elles ne prennent pas en considération les autres types d’endettement qui touchent un nombre encore plus considérable de ménages : ceux qui ont des difficultés à payer leurs charges ou leurs loyers. Or, ce genre de difficulté est de plus en plus répandu en Hongrie et à presque tous les niveaux de la société. Par exemple, selon une enquête de TIGAZ (compagnie de gaz), 18 % des consommateurs ont des problèmes occasionnels ou réguliers de paiement de leurs factures.

En Hongrie, en 2011, au total 25 % des ménages soit 2,5 millions de personnes se sont trouvées dans un ou plusieurs types d’endettement, ce qui place le pays en sixième position parmi les pays de l’Union européenne10.

Exclusion sociale et pauvreté

En Hongrie, le cercle des groupes concernés par la pauvreté s’étend. En 2010, 12,3 % de la population a vécu en-dessous du seuil de pauvreté, c’est-à-dire d’un revenu mensuel de moins de 60 000 HUF, équivalant à environ 200 euros. Selon les critères européens définis dans la stratégie Europe 2020 de l’Union européenne11, 30 % de la population hongroise vit dans l’exclusion sociale et dans la pauvreté12 Habitat for Humanity 2012, Bureau des Statistiques Hongrois. . Les coûts liés à l’habitation (loyers et charges) représentent en moyenne 25 % des revenus des ménages (selon les accords internationaux, 30–35 % est considéré comme le seuil de l’incapacité de paiement). Le groupe le plus pauvre et le plus touché par l’exclusion est celui des Roms. Le nombre des sans-abris, bien qu’on ne dispose pas de données statistiques exactes, dépasse, selon les estimations, les 10 000 personnes dans la capitale (la population totale de Budapest est de 1,8 millions).

La lutte contre les sans abris dans le VIIIème arrondissement de Budapest – Józsefváros

Un cas particulièrement parlant est celui du VIIIe arrondissement - Józsefváros. Il s’agit de l’arrondissement le plus défavorisé de Budapest, avec des indicateurs socio-économiques bien inférieurs à la moyenne budapestoise (taux de chômage élevé, part importante de Roms dans la population, forte hétérogénéité des quartiers, un tissu urbain également hétérogène, dont une part importante de bâtiments dégradés et de logements de mauvaise qualité, etc.). La mairie (majorité de droite, FIDESZ) de l’arrondissement a été la première à mettre en pratique les lois décrites ci-dessus. Toute forme de mendicité, l’utilisation des espaces publics pour y demeurer, la recherche d’objets dans les poubelles ainsi que le tabagisme sur les places principales de l’arrondissement sont dorénavant passibles de contravention. Les mouvements sociaux sont actifs dans l’arrondissement et notamment, les actions du groupe A város mindenkié (La ville pour tous) membre de la FEANTSA. En octobre 2011, la mairie a lancé un programme communautaire pour faciliter les conditions d’habitat et d’existence des personnes dans le besoin. Le programme, doté de 61 millions de florins (300 000 euros), a créé un centre d’hébergement pour 34 personnes et un autre pour 14, ce dernier appelé « maison d’esprit » où au total 5 personnes ont emménagé avant la fin 2011. Cependant, le programme n’a cherché aucune solution pour aider les participants à accéder à une location individuelle ou à les accompagner dans leurs recherches de travail.

Malgré ce contexte d’appauvrissement et de vulnérabilité, les politiques publiques ne font que renforcer l’exclusion sociale. Depuis les années 2000, la solution des problèmes des sans–abris est autant considérée comme un enjeu d’ordre public que d’esthétique et d’image. Mais c’est tout particulièrement à partir de 2009–2010 que la législation a fait le choix politique clair de criminaliser les pauvres et les sans–abris. La modification du code de l’urbanisme (janvier 2011) prévoit une contravention dans le cas de l’utilisation « hors norme » des espaces publics : en interdisant, par exemple, d’y « habiter » ou y « dormir ». La municipalité de Budapest a été la première dans le pays à mettre en pratique cette loi, en introduisant une amende de minimum de 50 000 HUF (presque 200 euros) pour toute personne utilisant les espaces publics comme leur demeure régulière. A partir de décembre 2011, en cas de violation de cette loi à plusieurs reprises, les sanctions peuvent aller jusqu’à une peine de 60 jours en prison ou une amende de 150 000 HUF (équivalant à 500 euros).

L’effet de la crise sur le renouvellement urbain à Budapest

Il n’existe pratiquement pas d’analyse ni d’évaluation sur les effets de la crise sur le renouvellement urbain de Budapest : ni sur la poursuite des projets existants ni sur l’évolution possible de la question dans l’avenir. Nous allons donc nous contenter ici de présenter quelques idées et hypothèses qui seraient à développer.

Avant tout, on ne peut pas éviter la question : que signifie le renouvellement urbain dans le cas de Budapest ? Les entretiens réalisés avec les experts en urbanisme au milieu des années 200013 ont montré qu’ils appréhendaient comme renouvellement urbain toute sorte d’intervention urbanistique ayant un effet de gentrification dans les quartiers dégradés. Ainsi, les modifications du tissu urbain dans les quartiers historiques en tant que résultats de spéculations immobilières ou le fait de raser un quartier populaire afin d’y créer un nouveau quartier résidentiel dans le cadre d’un programme public-privé ont été autant considérés comme des programmes de renouvellement urbain que le programme social lancé dans un des quartiers les plus défavorisés du VIIIe arrondissement. Pour autant, aucune des interventions mentionnées ne prend en considération les critères du développement durable et social des quartiers : absence d’objectifs de mixité sociale, pas de stratégie pour la création de services de proximité et d’établissements communautaires, etc.

En règle générale, l’investissement privé a tenu un rôle primordial dans ces opérations, aboutissant souvent à des résultats dévastateurs en termes de valeurs et de traditions urbaines. Quel était donc l’effet du retrait de ce secteur ?

Dans le quartier juif situé dans le VIIe arrondissement de Budapest, le tissu historique s’est vu à certains endroits entièrement effacé en raison de ce qu’on a appelé « le renouvellement urbain spontané », lié aux nouvelles constructions et à la spéculation foncière. Après plusieurs années de luttes des mouvements sociaux et notamment des associations OVÁS (proteste) et Szindikátus, le maire de l’arrondissement a été mis en garde à vue et ensuite condamné à plusieurs années de prison pour spéculation. Dans ce quartier, l’effet de la crise peut être considéré comme positif : en raison du ralentissement des grands investissements, les transformations du tissu urbain se sont arrêtées14.

Un deuxième exemple est celui du projet de la Promenade Corvin située dans l’arrondissement limitrophe, le VIIIe (Józsefváros). Ce projet avait été conçu par l’opérateur de la municipalité de l’arrondissement (RÉV 8) au milieu des années 2000 : un grand aménagement sur 22 hectares avec la démolition de 1100 logements et la construction de 810 logements de haut standing ainsi que la réhabilitation de 1400 logements, création de bureaux, d’un grand centre commercial et d’un centre scientifique. Le volet social du projet a résidé dans le fait de demander aux ménages délogés leurs préférences en matière de relogement et dans la négociation qui s’est instaurée à ce sujet entre l’opérateur et les ménages. Il n’existait cependant aucun suivi des négociations sur les relogements de la population d’origine, qui souvent a été relogée dans des appartements et dans des quartiers dont la qualité était bien inférieure à celle de leur habitat démoli. Les logements de haut standing construits sur ce site ont notamment été destinés à une classe moyenne hongroise en partie issue des villes de province dont les enfants faisaient leurs études dans les universités avoisinantes. Or, la crise intervenant, les dernières étapes du projet n’ont même pas été entamées, et une partie des logements neufs en vente sont restés vacants depuis leur construction. L’amélioration du statut du quartier ne s’est réalisée que partiellement : la partie extérieure de la promenade centrale autour de laquelle l’ensemble du projet avait été conçu reste encore plutôt abandonnée, sans véritables services ou possibilités de loisirs. Un centre fantôme au milieu de la ville ? Dans ce quartier, la crise n’a fait qu’aggraver les dégâts causés par le grand projet.

Perspectives

A Budapest, et dans l’ensemble de la Hongrie, la crise a rendu encore plus visibles et sensibles les lacunes des politiques publiques concernant les questions du logement, du droit au logement et du renouvellement urbain. Dans la situation actuelle, une politique stratégique serait à mimima nécessaire, afin de gérer un parc de logement très hétérogène et de permettre l’accès au logement à un nombre croissant de ménages défavorisés. Pour le moment, nous sommes encore très loin de l’élaboration d’une telle politique, mais quelques tentatives ont déjà vu le jour de la part des mouvements associatifs. Habitat for humanity, Fondation pour le droit au logement, lancera, début septembre, avec un co-financement de la fondation SOROS, un programme de réflexion sur les modalités et conditions de la création d’une agence immobilière à vocation sociale en Hongrie.

1 Selon le témoignage de M. Tibor Földi, Directeur Général de Cordia SA (une des sociétés immobilières les plus importantes de Budapest)

2 La puszta désigne la grande plaine en Hongrie, mais aussi un site déserté, vide.

3 Éves jelentés a lakhatási szegénységrol, 2012 (Rapport sur la pauvreté dans l’habitat, 2012) Habitat for Humanity.

4 avarosmindenkie.blog.hu/tags/esem%C3%A9ny

5 En 2008, dévalorisation du HUF de 67 % par rapport au franc suisse, de 28 % par rapport à l’euro.

6 Rapport de la Banque nationale hongroise.

7 La population totale en Hongrie est de moins de 10 millions d’habitants. Selon les données du Ministère, un million de hongrois sont concernés directement par un prêt immobilier à base de devise étrangère.

8 La possibilité de remboursement de la dette en une somme pour ceux qui en sont capables. Bonification de l’intérêt des prêts pendant 5 ans pour ceux qui échangent leur appartement à un plus petit, de préférence neuf. Rapport de 2012 de Habitat for Humanity.

9 Rapport 2012 de Habitat for Humanity, op.cit.

10 La stratégie de l’Europe en faveur de la croissance sur le site

11 K.Keresztély, S. Fayman (dir.), Les politiques de renouvellement urbain dans les pays de l’Europe Centrale, le cas de Budapest, étude pour l’Anah, 2007.

12 « Folytatódik a pesti zsidónegyed lerombolása, vagy véget ért a vadkapitalizmus? » (La démolition du quartier juif se poursuit–elle, ou le capitalisme sauvage s’est–il achevé?) in Ingatlanmagazin, 6/07/2012

Références

Farkas, Tibor, Folytatódik a pesti zsidónegyed lerombolása, vagy véget ért a vadkapitalizmus? (La démolition du quartier juif se poursuit–elle, ou le capitalisme sauvage s’est–il achevé?) in Ingatlanmagazin, 6/07/2012

Keresztély, K., Fayman, S. (dir.), Les politiques de renouvellement urbain dans les pays d’Europe centrale et orientale, le cas de Budapest, ACT Consultants pour l’Anah, 2007

Keresztély,K., L’inaccessibilité croissante des quartiers historiques de Budapest, in : Europe pas sans toit, AITEC, p. 32–36, 2008

Éves jelentés a lakhatási szegénységrol, 2012 (Rapport sur la pauvreté dans l’habitat, 2012), Habitat for Humanity.

Élet a moratórium után (La vie après le moratoire), Rapport de la Banque nationale hongroise, mai 2011.

Rapports annuels de « Otthon Centrum », agence immobilière en Hongrie.

Articles de www.ingatlanmagazin.com, revue en ligne sur le marché immobilier en Hongrie

Pour consulter le PDF du numéro 7 de la collection Passerelle