Unveiling the Right to the City

Charlotte Mathivet, 2016

Habitat International Coalition (HIC)

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Il est certes intéressant qu’un concept vive. Rien de plus inutile que des principes énoncés dans un livre sans aucune application pratique. Bien entendu, c’est souvent dans cette phase d’atterrissage dans le réel que les dissensions interviennent.

Inutile pour certains mouvements sociaux, indispensable pour d’autres, certains n’utilisent pas ce terme mais pourtant en déclinent concrètement ses composants. D’aucuns, en revanche, se servent de ce concept pour le dénaturaliser de son potentiel émancipateur tel qu’il avait été pensé par Henri Lefebvre. Comment y voir clair ? Comment savoir ce que veulent des acteurs se revendi-quant du droit à la ville ? Et comment faire le lien entre des militants, chercheurs, pouvoirs locaux qui sans en parler directement, essaient de mettre en place concrètement cette utopie indispensable qu’est le droit à la ville ?

Cette publication est le résultat de ces interrogations, à l’aune de plusieurs événements marquants. En Europe et aux États-Unis, un regain du conservatisme, voire de mouvements fascistes, mais aussi l’espoir porté par des mouvements sociaux qui résistent aux politiques néolibérales. En France, pays qui a vu naître le concept de droit à la ville, le mouvement Nuit debout s’inscrit dans cette trajectoire. Il est important pour deux principales raisons : c’est un mouvement qui occupe et revendique le droit à utiliser un espace public et de plus, cette occupation se fait pour exercer la politique. C’est la possibilité de renouer directement avec l’étymologie du mot politique. Alors que l’Espagne et la Grèce avaient déjà vécu des épisodes importants d’occupation de la ville, la France semblait loin de tels événements. Pourtant, les assemblées tant sur les places centrales des villes que dans les quartiers populaires de celles-ci sont des manières très riches de mettre en œuvre le droit à la ville. En Amérique latine, on assiste au déclin des gouvernements progressistes et à l’écart entre les lois visant à appliquer le droit à la ville (via la participation des habitants, la gestion des budgets, les instances de démocratie directe etc.) et des inégalités toujours plus croissantes.

En octobre 2016 aura lieu la troisième conférence des Nations Unies sur le logement et le développement urbain durable, Habitat III à Quito. Le draft 0 du Nouvel agenda urbain, paru en mai1, n’apporte pas beaucoup d’espoir quant aux conditions réelles de mise en place du droit à la ville à la suite de la conférence.

Le droit à la ville n’est pas reconnu en tant que tel : l’ONU Habitat lui préfère le terme de « ville pour tous », et surtout il développe de manière très précise le concept de « ville compétitive » où tout doit être mis en œuvre pour fomenter l’attractivité économique.

Pire encore, il est possible que Habitat 3 « marque une régression par rapport à Habitat 2 et à Habitat 1. Cette régression est liée à l’évolution de la situation mondiale et à la bataille menée pour l’hégémonie culturelle. La situation mondiale est marquée par l’arrogance des couches sociales dominantes à l’échelle mondiale. Elle se traduit par la montée des idées réactionnaires et conservatrices dans plusieurs sociétés et dans les institutions internationales » (Massiah, 2016).

Ceci n’est en tout cas pas de bon augure pour la mise en œuvre effective du droit à la ville. En effet, de nombreux Etats et délégations s’opposent fermement au droit à la ville : l’Union européenne, les Etats-Unis, la Colombie, l’Argentine ont pour le moment fait connaître leurs position en ce sens. L’Equateur et le Brésil défendent le droit à la ville, mais seulement comme la territorialisation des droits et non comme la création d’un nouveau droit.

Le travail de plaidoyer de réseaux comme la Coalition européenne pour le droit au logement et à la ville, et la Plateforme pour le droit à la ville est d’autant plus fondamental dans ce contexte de régression généralisée des droits. La plateforme revendique une certaine vision du droit à la ville, qui poursuit le travail mené depuis plus de vingt ans dans les forums sociaux et avec la Charte mondiale pour le droit à la ville dont Habitat International Coalition a été le principal moteur, mais aussi et surtout sur des expériences concrètes de résistances et d’alternatives qui ont réussi à faire du droit à la vie une utopie réalisable où la valeur d’usage prime sur la valeur d’échange, où la fonction sociale prime sur la propriété privée, où l’intérêt collectif prime sur les intérêts particuliers.

Ainsi, le droit à la ville est certainement un concept à améliorer, confus selon certains, pas assez revendicatif pour d’autres, utopique ou encore instrumentalisé. Certains acteurs, comme au Brésil, se sont attelés à la tâche de rendre ce droit réellement judiciable. Cependant, ces expériences nous montrent qu’on ne peut faire aboutir le travail de mise en œuvre légal du droit à la ville sans pression sociale ni rapport de force. C’est par l’expérience du conflit, grâce aux revendications permanentes des mouvements sociaux, que le droit à la ville pourra se concrétiser. Ce n’est pas une analyse nouvelle. Machiavel (1531/1952) affirmait que « Dans toute république, il y a deux partis : celui des grands et celui du peuple ; et toutes les lois favorables à la liberté ne naissent que de leur opposition […]. On ne peut […] qualifier de désordonnée une république […] où l’on voit briller tant de vertus : c’est la bonne éducation qui les fait éclore, et celle-ci n’est due qu’à de bonnes lois ; les bonnes lois à leur tour sont le fruit de ces agitations que la plupart condamnent si inconsidérablement ».

Grâce à différents types d’acteurs, des alternatives se mettent en place et rendent ces mots opératoires, changeant ainsi la vie des gens et donnant une valeur très forte à cette définition du droit à la ville : « c’est un droit collectif à nous changer nous-mêmes en changeant la ville de façon à la rendre plus conforme à notre désir le plus cher » (Harvey 2008).

Le présent ouvrage analyse le contenu du droit à la ville tel qu’il est entendu par les acteurs qui s’en revendiquent ou qui, sans même s’y référer, le mettent pourtant en œuvre. À travers les différents chapitres, nous verrons à qui le droit à la ville s’adresse, comment les mouvements sociaux se réapproprient ce concept, mais aussi comment il est instrumentalisé par certains qui le dévient radicalement de sa portée émancipatrice. Enfin, à travers des exemples de par le monde, nous verrons comment des mouvements de résistance se revendiquent du droit à la ville, et enfin nous nous pencherons sur les initiatives municipales qui veulent oeuvrer pour mettre en place le droit à la ville dans leurs communes.

Ce livre est composé de textes contradictoires, de visions différentes sur le droit à la ville. Son contenu est loin d’être homogène, et en cela il représente bien l’état du débat à ce sujet, sa richesse et sa vigueur.

Nous tenons à remercier tous les auteurs qui ont contribué à cet ouvrage par leurs écrits ou leurs entretiens.Nous espérons que cet ouvrage enrichira votre compréhension du droit à la ville, et nous vous souhaitons bonne lecture.

Sources

COALITION européenne pour le droit au logement et à la ville : www.housingnotprofit.org/en

GARNIER, JP. ( 2011), Du droit au logement au droit à la ville : de quel(s) droit(s) parle-t-on ?

HARVEY, D. (2008), « The Right to the City », New Left Review, n° 53.

MACHIAVEL, N. (1531, ed. 1952), Discours sur la première décade de Tite-Live, I, 4 dans Oeuvres complètes, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », cité dans le Monde diplomatique, Alain Supiot, « Le rêve de l’harmonie par le calcul », février 2015.

MASSIAH, G. (2016), « Du bon usage d’Habitat 3 », texte de positionnement de l’Aitec, Paris.

PLATEFORME pour le droit à la ville

UN Habitat (2016), « Zero Draft of the New Urban Agenda »

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