Services d’intérêt général : de quel cadre communautaire avons-nous besoin ?

Pierre Bauby, 2005

Cette fiche pose la question de l’harmonisation intra-communautaire des réglementations concernant les services d’intérêt général (SIG). Elle oppose les deux visions, l’une théorique sur la définition globale des SIG et l’autre pragmatique qui propose une approche sectorielle des normes en matière de SIG.

Le débat européen sur une directive-cadre consacrée aux services d’intérêt général oppose souvent deux conceptions : la première, souvent portée par des Français, qui en font un instrument décisif de l’étape actuelle d’européanisation des SIG (Service d’Intérêt Général) et en ont une conception englobant tous les enjeux et reposant sur une doctrine nécessairement cohérente ; la seconde, beaucoup plus pragmatique, qui craint qu’un texte global ne permette pas les nécessaires évolutions et modernisations, fige des protectionnismes et/ou donne de nouvelles compétences aux instances communautaires au détriment des droits des Etats membres et des autorités publiques locales et régionales. Un dialogue de sourds s’instaure alors souvent, sans qu’il soit possible de dépasser ces oppositions de départ.

En fait, il semble nécessaire, avant de déterminer la meilleure forme juridique, de commencer par clarifier les objectifs.

Premier constat

Malgré les avancées des dernières années (article 16 du traité, article 36 de la Charte des droits fondamentaux, débats du Livre vert et du Livre blanc, directives sectorielles, etc.), il subsiste aujourd’hui pour les SIEG comme pour l’ensemble des SIG un net déséquilibre entre d’un côté la logique de concurrence et de libéralisation, qui reste dominante, et de l’autre les objectifs d’intérêt général, qui continuent le plus souvent à relever de l’exception. Il subsiste de fortes incertitudes et insécurités pour les acteurs :

Des déséquilibres existent aussi en termes de rythmes d’élaboration et d’effet du droit dérivé, entre d’un côté les textes et mesures qui régissent l’ouverture à la concurrence et de l’autre ceux qui visent à reconnaître et sécuriser les SIEG.

Deuxième constat

En l’absence de règles suffisamment précises et équilibrées dans le droit dérivé, la Cour de Justice des Communautés européennes est amenée, arrêt après arrêt, à interpréter les dispositions actuelles ou les grands principes du droit primaire. Si dans certains cas elle était le fait que les SIG peuvent relever d’autres objectifs et principes que le seul droit commun de la concurrence, dans d’autres elle restreint de plus en plus les droits et pouvoirs des autorités publiques d’une part de définir les objectifs, finalités et obligations de service public, d’autre part de décider du mode de gestion des services de leur compétence.

Troisième constat

Des dispositions transverses aux différents secteurs existent déjà dans le droit dérivé. En particulier le récent paquet « Monti-Altmark-Kroes » apporte certaines garanties à certains SIEG, quels que soient les secteurs d’activités.

Dès lors, il faut s’interroger sur les garanties dont nous avons besoin.

Parmi les priorités, on peut recenser :

  1. La nécessité de clarifier la hiérarchie des normes juridiques communautaires. Dans le Livre blanc, la Commission écrit que « en vertu du traité CE et sous réserve des conditions fixées à l’article 86, paragraphe 2, l’accomplissement effectif d’une mission d’intérêt général prévaut, en cas de tension, sur l’application des règles du traité ». Il convient d’inscrire cette hiérarchie des normes juridiques communautaires dans le droit positif dérivé de l’UE. Les objectifs et finalités d’intérêt général font que les SIEG ne peuvent relever des seules règles de concurrence et ceci même si cela influe sur le marché intérieur, même si les financements sont élevés et même si cela concerne des services au niveau européen et pas seulement à celui des autorités nationales ou locales.

  2. La nécessité d’affermir, en application du principe de subsidiarité, le droit des autorités publiques nationales et des collectivités territoriales « de fournir, de faire exécuter et de financer ces services », donc de décider de ce qui relève des services d’intérêt général, de leurs objectifs, des obligations de service public.

  3. La nécessité de garantir, en application du principe de subsidiarité, le droit des autorités publiques nationales et leurs collectivités territoriales de choisir, dans la transparence complète des objectifs et des moyens, le mode de gestion des services d’intérêt général de leur compétence.

  4. La nécessité de garantir la sécurité de financement à long terme d’une part des investissements nécessaires à la continuité et à la durabilité des services, d’autre part de la compensation des obligations de service public ou de service universel, qui ne doivent pas relever des « aides d’Etat ».

  5. Le besoin d’affermir la répartition des compétences entre l’UE et les Etats-membres : pas d’extension des compétences de l’UE au détriment des Etats membres ou des collectivités locales, même si l’Union européenne a la capacité de créer des services européens dans les domaines où, selon le principe de subsidiarité, « les objectifs de l’action… peuvent mieux être réalisés, en raison des dimensions ou des effets de l’action, au niveau de l’Union ».

  6. La nécessité de mettre en place une dynamique progressive d’évaluation démocratique des performances des services d’intérêt économique général pour lesquels existent des règles communautaires, afin de contribuer à leur efficacité et à leur adaptation aux évolutions de besoins des consommateurs, des citoyens et de la société.

  7. Le besoin de clarifier que les positions de l’UE dans les négociations commerciales internationales de l’OMC et de l’AGCS doivent dépendre de ses règles internes.

Comment procéder ?

Il peut apparaître séduisant de mettre ces différentes garanties dans un texte transverse général, à la manière du projet de directive sur les services dans le marché intérieur. Mais on voit bien les difficultés de l’exercice. Il peut être tout aussi efficace – et plus facile – d’avancer domaine par domaine, avec une série de textes transverses. Cela ne semble pas relever d’un débat de principes, mais d’opportunité et de faisabilité.

Compte tenu du report du processus de ratification du traité constitutionnel, la base juridique ne peut aujourd’hui être autre que celle de l’achèvement du marché intérieur. Mais cette base doit être complétée par la prise en compte d’autres dispositions du traité, qui viennent donner un contenu précis au type de marché intérieur qui doit être celui des SIEG :

Combiner ces articles permet de fonder un droit spécifique des SIEG tenant compte à la fois de l’achèvement du marché intérieur et des spécificités des SIEG, en prenant en compte tous les objectifs des traités.