Un projet de contrôle et de gestion du patrimoine menacé de la Guyane française

A quand le développement durable des Départements et Territoires d’Outre-Mer ?

Benoît VERDEAUX, 2006

En décembre 2001 et janvier 2002, les marins pêcheurs guyanais ont fait le blocus des trois principaux chenaux d’accès à la côte. Ces manifestations avaient pour but de dénoncer le pillage des ressources halieutique des eaux territoriales françaises au large des côtes guyanaises par les navires japonais, coréens, vénézuéliens ou brésiliens. Ces pêcheurs dénonçaient la faiblesse du contrôle de cette zone par les autorités nationales et les effets induits en termes de perte de revenus (diminution du volume de crevettes roses pêchées dans ces eaux) et de conséquence sur la faune et la flore marines (utilisation de filets dérivants). Ces professionnels de la pêche ont exprimé leur inquiétude et leur colère face aux lacunes de la protection de leurs ressources naturelles.

Selon José Gaillou et de nombreux chercheurs de différents organismes nationaux, le pillage des ressources naturelles guyanaises ne se limite pas au milieu halieutique. Quelques exemples permettent d’entrevoir la diversité des richesses non protégées de la région. L’exploitation des terres aurifères est sujette à un trafic très mal contrôlé. La quantité d’or présente sur le territoire est mal connue et les quantités exploitées et exportées le sont également très peu.

L’exploitation, souvent non contrôlée, des ressources minières se traduit naturellement par un déficit de revenu pour la Guyane, mais engendre également d’autres effets peu bénéfiques. Par exemple, la présence de mines sauvages en milieu forestier a souvent pour conséquence la détérioration du milieu écologique et des répercussions directes sur l’organisation socio-économique des populations autochtones (disparition du gibier, pollution des rivières par une sur utilisation du mercure…).

L’industrie pharmaceutique exploite une plante aquatique de rivière (coumarou fluvitalis). Cette plante est un élément fondamental de l’équilibre écologique de certaines rivières de la région, fournissant l’aliment principal d’une partie de la faune aquatique. Son exploitation non contrôlée a des conséquences immédiates sur la quantité de poisson pêchée par les populations environnantes. De même, la chasse professionnelle et touristique, très peu contrôlée sur un territoire de 92 000 km2, et en développement en Guyane, est un facteur important de raréfaction du gros gibier. Conjuguée aux effets de l’exploitation minière sauvage, elle réduit d’autant le domaine de la chasse alimentaire des populations rurales.

D’autres pillages ont des conséquences moins directes sur l’équilibre socio-économique des populations rurales ou sur l’activité de certaines catégories socioprofessionnelles. Ils représentent un risque majeur pour le patrimoine de la région. Tel est le cas du développement du trafic animalier à destination des pays européens. Les insectes, reptiles et autres arachnides locaux sont très prisés en Europe. La capture et le commerce non contrôlé de ces animaux sauvages, témoignage de la diversité et de la richesse de la faune guyanaise, est un risque pour sa préservation et un handicap pour le développement éventuel d’un tourisme animalier. Enfin, le patrimoine culturel de la région est également menacé. Les grottes funéraires de l’Est de la Guyane, dans la région de Ouanary, sont régulièrement pillées. Le patrimoine archéologique est ainsi dispersé, et la place de l’histoire et de la culture des populations amérindiennes d’autant réduite.

Le Conseil régional de Guyane prend aujourd’hui la mesure de la dégradation des ressources naturelles et culturelles de la région et de ses effets sur les différentes populations vivant sur le territoire. Ses représentants présents aux Entretiens internationaux de la Direction de l’Aménagement et du Développement du territoire (DATAR), qui ont eu lieu à Paris du 28 au 30 janvier 2002, sont venus prendre les contacts nécessaires à la mise en place d’un programme de valorisation et de protection des ressources guyanaises. Encore à l’état de projet, il a pour objectif d’améliorer le contrôle et la gestion du patrimoine guyanais en vue de favoriser sa mise en valeur dans le cadre du développement durable. Ce programme, que le Conseil régional semble vouloir initier, s’articulerait en cinq temps.

La première étape consisterait à réaliser un audit sur ce qui existe aujourd’hui en matière de protection, de gestion et de contrôle des ressources de la région. Ce diagnostic sur l’état des territoires serait pris en charge par la Direction Régionale de l’Environnement (DIREN). Ce premier diagnostic réalisé, une seconde étape devrait permettre, grâce à un séminaire regroupant l’ensemble des acteurs concernés ou leurs représentants (élus, populations, administration, associations, représentants professionnels, organismes de recherche…), de recueillir réactions, revendications et propositions. Ces débats déboucheraient sur la publication d’un ouvrage synthétisant les grandes lignes des démarches et des actions à entreprendre. La troisième étape correspondrait à la mise en place des outils réglementaires identifiés comme nécessaires pour un meilleur contrôle et une gestion concertée du patrimoine guyanais. A ce stade, il sera important de prendre en compte les expériences des pays voisins et le contexte régional du plateau des Guyanes pour harmoniser les mesures. La quatrième étape tendrait à instaurer un dialogue et une concertation avec les professionnels ou les groupes sociaux et ethniques concernés. Enfin, la dernière étape de ce programme prévoit la constitution d’un comité de pilotage du projet, chargé de la surveillance et du respect des accords, règles et principes définis ou redéfinis.

Le nombre et l’importance des travaux scientifiques des organismes français de recherche est particulièrement conséquent en Guyane. Ce territoire français est un véritable terrain expérimental pour la recherche souvent dite appliquée au développement. Il est surprenant de constater que peu de ces efforts scientifiques ont servi au développement local et à la valorisation des ressources de la région. Pourquoi le Conseil régional n’a-t-il pas réagi plus tôt ? Les besoins de la Guyane, financiers, législatifs et humains, pour garantir une protection minimale des ressources régionales n’ont jamais été suffisants et expliquent aujourd’hui la détresse d’un certain nombre de communautés. L’enjeu de ce programme de défense du patrimoine naturel, culturel et économique est donc de taille. Il prétend mettre un terme au délitement des atouts de la région et assurer son développement durable. Le financement d’une telle initiative ne peut donc se limiter à la région. La prise en compte de l’intérêt de la protection de la diversité et de la richesse des ressources de la Guyane au plan national est probablement une des conditions de sa réussite.

Sources

  • Cette fiche a été réalisée lors des Entretiens internationaux de la Délégation à l’Aménagement du territoire et à l’Action Régionale (DATAR), à Paris, du 28 au 30 janvier 2002.

  • Entretien avec José GAILLOU, conseiller régional, Région Guyane.