Pourquoi le développement se concentre dans les très grandes villes ?

Remi Dormois, March 2013

Dans l’ensemble des pays européens, on relève que les emplois stratégiques dans l’économie post-fordistes se concentrent dans les très grandes villes qui deviennent ainsi les moteurs du développement économique. On désigne ce double mouvement de polarisation et de développement des activités économiques à haute-valeur ajoutée dans les très grandes villes sous le terme de métropolisation. Pourquoi ces activités, et les emplois associés, tendent-elles à se concentrer dans les très grandes villes ? Telle est la question qui nous guidera dans cette analyse.

La métropole coûte à l’entreprise…

Revenons d’abord sur les coûts dont est porteuse la métropole pour les entreprises qui s’y localisent ou qui, déjà implantées, souhaitent s’y développer. Il faut en effet aller à l’encontre du caractère « évident » et inéluctable de ce processus de concentration. La rareté de l’offre par rapport au niveau de la demande en matière d’habitat renchérit le prix des loyers et le prix d’achat des logements. Cela a des répercussions sur les attentes salariales des employés et donc sur des charges supplémentaires pour les entreprises. La saturation des réseaux de transport dans les métropoles a aussi des répercussions directes en termes de temps non productif passé par les salariés lors de leurs déplacements professionnels mais aussi de stress et d’anticipation qui nuisent à leur productivité sur leur lieu de travail. Les retards pris dans les livraisons peuvent aussi avoir des répercussions directes sur le processus de production alors que le « juste à temps » et le « zéro stock » se sont considérablement développés. La pollution de l’air, le bruit, le manque d’espaces verts, la densité des espaces urbains,… représentent des contraintes sur la qualité de vie des métropolitains. Enfin, la rareté des terrains non urbanisés, la cherté de l’immobilier de bureaux renchérissent considérablement tous les projets d’implantation ou d’extension pour les entreprises.

Les entreprises métropolitaines s’écarteraient-elles de toute rationalité économique dans leurs décisions d’implantations ou d’extensions ?

… mais elle est pourvoyeuse d’avantages économiques

Si la très grande ville est pourvoyeuse de coûts, elle est aussi pourvoyeuse d’avantages compétitifs, de facteurs assurantiels qui limitent les risques économiques et qui expliquent pourquoi les entreprises à haute-valeur ajoutée cherchent à s’y localiser mais aussi pourquoi les actifs – notamment les plus diplômés- les privilégient dans leur localisation résidentielle.

Si l’on se place du point de vue de l’entreprise, la métropole peut être d’abord synonyme de marchés. Rassemblant un nombre important de consommateurs dont des consommateurs aux niveaux de revenus intermédiaires et élevés (actifs des secteurs à haute valeur ajoutée), les métropoles sont des places marchandes dynamiques dont les flux d’échange peuvent être renforcés par la présence d’une clientèle étrangère (tourisme urbain). La métropole représente aussi un marché du travail étendu et diversifié. L’entreprise accroît ses chances de recruter des salariés qualifiés (les universités et les écoles spécialisées les plus renommées sont situées dans les métropoles), dotés d’expériences professionnelles solides, et, le cas échéant, qui peuvent accepter plus facilement un licenciement en raison des opportunités d’employabilité offertes par la très grande ville. L’entreprise sera aussi en capacité de trouver des sous-traitants ou des partenaires diversifiés, profitant eux-aussi des externalités positives des systèmes locaux de formation, compétents, pouvant leur apporter une expertise qui lui fait défaut. La densité de chercheurs et leur proximité géographique représenteront une opportunité pour développer des partenariats stratégiques visant à préparer les futurs produits et à introduire des innovations dans les procès de production. L’innovation passe en effet par des opportunités, des contacts physiques rendus possibles dans la métropole parce que peuvent se rencontrer le chercheur, l’investisseur, l’industriel, le spécialiste marketing, le designer,… c’est-à-dire tous les maillons de la chaîne de valeur ajoutée du nouveau produit. Dans la métropole, l’entreprise aura aussi accès à des investisseurs en capacité de prendre des décisions pour lui apporter les capitaux escomptés. Les métropoles concentrent en effet la plupart des sièges sociaux des banques d’affaires et des cabinets de conseil gérant des portefeuilles financiers de particuliers. La grande ville permet donc à l’entreprise de faire son ou plutôt ses marchés : consommateurs, collaborateurs, partenaires, investisseurs…

Mais la métropole offre aussi un certain nombre d’externalités positives qui vont faciliter le développement de l’entreprise. Les très grandes villes sont des lieux connectés aux réseaux de transport structurants facilitant la mobilité pour ses salariés mais aussi aux réseaux à très hauts débits facilitant l’échange de données sécurisées entre clients et fournisseurs. La métropole concentre aussi les grands équipements culturels, le commerce anomale, des manifestations sportives ce qui aide l’entreprise à attirer des cadres très qualifiés soucieux d’un cadre de vie attractif pour leurs conjoints et leurs enfants. La diversité sociale et la diversité ethnique des très grandes villes seraient des éléments plus particulièrement prisés par les créatifs c’est-à-dire des actifs dotés d’un sens de l’innovation, de la création que ce soit dans le domaine technologique, culturel, social, gestionnaire,… Or les créatifs sont les vecteurs du développement dans l’économie de la connaissance. Les entreprises cherchent à les capter pour conserver leur avance en termes d’innovation et doivent donc aller là où ils sont c’est-à-dire dans des très grandes villes rassemblant différentes communautés, dotées d’une identité et d’une ambiance urbaine particulière.

Parce que la grande ville minimise les risques dans l’organisation économique post-fordiste et parce qu’elles offrent les ressources valorisées dans ce type d’organisation, elle accueille de façon privilégiée les activités de la nouvelle économie. Mais la croissance économique des grandes villes ne repose pas seulement sur les activités à haute-valeur ajoutée. En raison de son poids démographique, la grande ville accueille des activités plus traditionnelles telles que les administrations, le commerce et les services à la personne qui ont connu un développement important sur la dernière décennie. Il ne s’agit donc pas d’opposer l’économie de la connaissance et l’économie présentielle. Par exemple, les cadres des activités à forte valeur ajoutée sont des consommateurs importants des services à la personne et du commerce. Mais il ne s’agit pas non plus d’expliquer le dynamisme économique des très grandes villes seulement par la concentration des activités tertiaires supérieures en leur sein. Les très grandes villes ont une base économique diversifiée qui est un atout pour affronter les crises sectorielles. C’est ce mix sectoriel qui est à l’origine du développement métropolitain.

La polarisation sur les métropoles est aussi le fait des grands investisseurs immobiliers

Mais la polarisation économique du développement sur les très grandes villes ne repose pas seulement sur l’activation de leurs ressources. Elle résulte aussi de décisions des investisseurs, tels que les fonds de pension anglo-saxons, d’y construire prioritairement les grands ensembles de bureaux, les nouveaux centres commerciaux, les complexes hôteliers de luxe,… Dits en d’autres termes le développement des métropoles résulte aussi de la production volontariste d’une offre territoriale par des investisseurs extérieurs.

Ce sont les analyses récentes sur la financiarisation de la production urbaine qui mettent le mieux en lumière ce processus. Les acteurs de la finance globale – et au premier chef les fonds de pension chargés d’assurer le paiement des retraites par capitalisation et de faire fructifier les fonds liés au marché du pétrole – recherchent des investissements sûrs et rentables sur le court terme. La construction de grands ensembles immobiliers présentant une mixité des fonctions dans les métropoles identifiées par les analystes comme à fort potentiel satisfait ce double objectif. La tension sur les niveaux de loyers dans les très grandes villes garantit une rentabilité entre 7 et 10% que recherche les investisseurs pour pouvoir procéder à des sessions à court terme (les fonds de placement ne sont pas dans une logique d’investissements patrimoniaux). La mixité des programmes et la priorité accordée à des « locomotives » commerciales ou immobilières sont aussi des facteurs de minimisation des risques. Si l’un des secteurs immobiliers entre en crise un autre pourra jouer un rôle d’amortisseur. Enfin les investisseurs suivent les classements de villes produits par les analystes financiers sur leur prétendu dynamisme et attractivité des villes pour minimiser leurs risques.

On comprend dès lors pourquoi les grands investissements privés se concentrent dans quelques très grandes métropoles et pourquoi les projets qui y sont financés sont semblables les uns aux autres. Les interventions des acteurs de la finance globale expliquent donc aussi pourquoi le tertiaire supérieur, le tourisme, le commerce se développent dans les métropoles : parce que les acteurs de la finance globale y construisent l’offre immobilière nécessaire à la croissance de ces secteurs. Une forme de cercle vertueux se met en place : le dynamisme de la très grande ville est repéré par les analystes financiers qui conseillent aux investisseurs d’y réaliser leurs projets, projets qui à leur tour permettent un développement de l’emploi qualifié, de renforcer le rayonnement et l’attractivité de la très grande ville ce qui renforce sa notoriété et donc son caractère assurantielle par rapport à de nouveaux investisseurs…

La polarisation de la croissance économique dans les grandes villes a plusieurs conséquences sur lesquelles il est nécessaire de revenir plus en détail afin de souligner les tensions et les contradictions générées par le processus de métropolisation.

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