L’École citoyenne: réflexion autour de la Gouvernance Territoriale à partir de l’expérience péruvienne

Propositions méthodologiques et discussions à partir du MOOC Gouvernance Territoriale

Louise Giraud, Arnaldo Serna, avril 2017

Escuela para el desarrollo

Présentation de l’expérience de l’École Citoyenne: espace de réflexion et de partage mis en place par Escuela para el Desarrollo sur la base du Cours en Ligne Ouvert Massif (CLOM) sur la Gouvernance Territoriale réalisé par CITEGO.

Contexte

De Mai à Juillet 2016, CITEGO a réalisé un Cours en Ligne Ouvert Massif (CLOM) sur la Gouvernance Territoriale en partenariat avec le Centre National de la Fonction Publique Territoriale (CNFPT). Ce CLOM, présenté par Pierre Calame, propose de repenser la Gouvernance Territoriale : d’analyser la notion de gouvernance et de souligner les spécificités de la gestion d’un territoire (une collectivité territoriale). Il souligne les effets pervers d’une transposition de la notion de « bonne gouvernance » et des logiques managériales du monde de l’entreprise à la gestion d’un territoire.

Dans le cadre de ces processus de renforcement des capacités, Escuela produit et diffuse des connaissances sur le champ du développement et conçoit de nouveaux produits, services et propositions au service des acteurs de développement du pays: les professionnel•e•s des ONG, les personnes engagées dans des associations, les élu•e•s locaux, les fonctionnaires mais aussi des étudiant•e•s en sciences sociales. De plus, Escuela cherche à promouvoir une communauté d’inter-apprentissage autour des grandes thématiques du développement. Pour cela, l’organisation offre des mécanismes qui permettent la formation continue des divers acteurs et actrices liés à Escuela: ses étudiant•e•s, ses collaborateurs et collaboratrices, ses partenaires et ses allié•e•s. L’un de ces mécanismes de formation continue qui anime la communauté d’inter-apprentissage est l’École Citoyenne, un espace ouvert qui cherche à motiver la réflexion sur une thématique précise. Par ailleurs, l’École Citoyenne promeut la formation d’une communauté d’inter-apprentissage qui réfléchisse de manière collective et qui puisse partager ses idées avec d’autres personnes intéressées par ce thème.

La première expérience de l’École Citoyenne s’est réalisée sur la base du CLOM sur la Gouvernance Territoriale élaboré par Pierre Calame en partenariat avec le CNFPT. Cela fut rendu possible par le Réseau International Profadel dont le coordinateur, Christophe Mestre, proposa aux différents centres de s’inscrire sur le CLOM et partager leur expérience. Dans ce cadre, Escuela et le CIEDEL ont participé au CLOM. Au préalable, il fut nécessaire d’effectuer un travail de traduction du Français à l’Espagnol et la synthèse des idées présentes dans les 12 chapitres du cours. Pour le travail de synthèse, le choix a été de garder les idées et concepts principaux de chaque session et les exemples qui pouvaient facilement être compris par un public non-français, ce qui a mené en particulier à supprimer les références à l’histoire de l’administration française.

À partir de ce travail, les séances du CLOM ont été regroupées en trois blocs qui correspondaient aux trois sessions présentielles prévues. Une quatrième session a finalement été rajoutée pour revenir sur l’ensemble du cours.

La méthodologie

Escuela travaille en se basant sur un modèle pédagogique appelé l’Apprentissage Expérientiel Participatif. Le modèle part du cycle d’apprentissage expérientiel proposé par David Kolb, qui reconnaît quatre moments dans le processus d’apprentissage. Il souligne l’importance de l’inter-apprentissage dans ce processus, sur la base de la participation active et du dialogue critique et constructif sur la réalité (qui s’inspire de l’éducation populaire).

Le processus débute avec une expérience concrète (première étape du cycle), la même qui peut être partagée par les participant•e•s (une question d’amorce, une vidéo, une étude de cas, un jeu de rôles, un exercice pratique, …). À partir de l’expérience se génère une réflexion collective (seconde étape du cycle : observation réflexive), en organisant les idées qui surgissent de la combinaison des savoirs préalables et des nouvelles idées des participant•e•s. La présentation de concepts provenant de la théorie est faite en fonction des idées exposées par le groupe afin d’initier la phase de construction des connaissances (troisième partie du cycle) fondée sur la recherche collective de connexion des idées. Finalement, le groupe cherche comment les concepts et idées enrichies durant la session pourraient s’appliquer à la réalité (quatrième étape du cycle). Ce dernier moment se convertira plus tard en une nouvelle expérience sur laquelle pourra débuter un nouveau cycle d’apprentissage.

Le cycle de l’Apprentissage Expérientiel Participatif
Adaptation du cycle d’apprentissage expérientiel proposé par David Kolb(1984) par la Escuela para el Desarrollo.

Les discussions

Pour chaque séance, une question d’amorce a été formulée pour permettre à chaque participant de récupérer ses propres connaissances sur le thème évoqué. L’échange qui se génère autour de cette première question permet d’initier le processus d’apprentissage expérientiel. Pour la première session, deux questions ont été choisies pour orienter le débat: “Quels sont les principaux changements qui ont eu lieu dans les territoires au cours des dernières années (depuis 2000)?” et “Quels changements ont eu lieu au niveau de la gouvernance sur la même période?”

Les participant•e•s ont échangé sur les changements perçus dans des territoires urbains et périurbains (Lima principalement) comme l’accélération de la construction pour répondre à la demande de logements et aux investissements privés qui viennent changer l’organisation urbaine en favorisant les zones commerciales et les grands complexes d’habitation au détriment des zones résidentielles et des lieux de socialisation traditionnels comme les parcs. Puis l’échange s’est concentré sur les changements intervenus dans les zones rurales et en particulier ceux liés au développement de l’activité minière, qui donne lieu à de nombreuses conséquences plus ou moins néfastes comme le déplacement de la population, l’urbanisation rapide, la tertiarisation de l’économie locale, des changements profonds du réseau social,… L’activité minière a également une forte influence sur des thèmes ancrés plus profondément dans la culture, comme le regard porté sur le territoire : cela se traduit par des tensions qui apparaissent entre la vision de la propriété collective de la terre et la vision de la propriété privée, provoquant ainsi des conflits sociaux entre l’État, le secteur privé et les citoyens.

A propos des changements intervenus au niveau de la gouvernance, les participantes ont soulevé la question de l’empowerment des gouvernements locaux résultant du processus de décentralisation. Au niveau de l’État ils ont pu noter également une présence plus importante avec une forte augmentation des services et programmes sociaux et de plus, ce processus est accompagné de mécanismes de participation citoyenne et d’une meilleure transparence au niveau des actions menées. Les citoyens peuvent exiger de l’État qu’il prenne ses responsabilités. Parallèlement, du côté de la population, on peut observer une prise de conscience progressive de la portée de la citoyenneté. Cela se traduit par l’augmentation de la participation citoyenne dans les espaces de débat et également la multiplication des mécanismes qui permettent la prise de décision des citoyens au moins au niveau local (budget participatif, plan de développement concerté, consultation préalable, …). Ces mécanismes ont des faiblesses et leur mise en place n’est pas parfaite, mais ils ont le mérite d’exister et permettent un dialogue plus équilibré entre les citoyens et les autorités locales.

Après ces premiers échanges s’est initiée la deuxième étape du processus de l’apprentissage expérientiel participatif: l’observation réflexive. Les participant•e•s ont cherché à organiser les éléments de réponse aux questions précédentes pour tenter de construire une compréhension collective de ce qu’est la gouvernance territoriale et surtout ce qu’elle devrait être, cherchant le chemin à suivre pour sortir de la crise de la gouvernance identifiée.

Pour compléter ces réflexions, la session a continué avec une présentation de divers concepts développés par Pierre Calame dans son CLOM et en particulier le faux concept de “bonne gouvernance” (Séquence 1.2. La fabrication d’un faux concept : la bonne gouvernance), le tripode de la gouvernance (Séance 3. Le changement de pied de la gouvernance) dans une société en mouvement et la définition d’un territoire par l’analyse de la communauté qui l’occupe (Séquence 2.4. Redéfinir un territoire).

Les participant•e•s ont alors été invité•e•s à faire le lien entre les réflexions menées en première partie de la session et les concepts proposés par Pierre Calame, cherchant dans quelle mesure les solutions proposées pour résoudre la crise de la gouvernance peuvent se nourrir de l’approche conceptuelle de Pierre Calame. Ainsi, les participant•e•s ont pu relier les trois étapes de construction de la communauté comme acteur collectif proposées par Pierre Calame (l’entrée en intelligibilité, l’entrée en dialogue et l’entrée en projet) avec les propositions qu’ils ont pu faire pendant la seconde partie de la session. Ce processus de construction est d’ailleurs un élément clef pour le développement durable des territoires. En effet, le non respect d’une ou plusieurs de ces étapes entraîne souvent l’échec de mécanismes de concertation comme par exemple les “tables de dialogue” qui sont instaurées au Pérou pour faire dialoguer la population avec des acteurs privés (qui sont souvent des entreprises minières) et des autorités1 .

Pour la deuxième session de l’École Citoyenne, la question d’amorce fut: “Quelle sera la dynamique du territoire dans les prochaines années, du point de vue de l’économie?”. Cette question a été l’occasion d’évoquer le thème crucial de la gestion des ressources naturelles et des transformations que l’économie extractive génère sur le territoire. La discussion a ensuite porté sur l’économie post-extractive, que les participant•e•s considèrent comme un sujet de travail fondamental dans les années à venir au Pérou.

Finalement, s’est posée la question de l’influence des acteurs en tant que consommateurs. La croissance de la population et l’exode rural qui provoque une concentration de population que les villes ne peuvent déjà plus absorber, représentent deux nouveaux défis pour l’économie du pays. Il existe des modèles de consommation qui ont une forte responsabilité dans les problèmes de gestion des ressources naturelles. Ils sont néanmoins déjà en évolution: certains groupes de la population péruvienne sont déjà en train de chercher d’autres chemins de consommation, en favorisant les secteurs de production plus responsables et durables par exemple, bien qu’il soit toujours difficile de trouver comment sortir de la dépendance à la consommation.

A la suite de ces réflexions, les participant•e•s ont été invité•e•s à dégager “les différentes grandes dynamiques” à partir des éléments cités en réponse, regroupant par exemple les éléments se rapportant à l’agriculture, à l’économie extractive, à la consommation alternative (par opposition au consumérisme),… Puis la session a continué avec une présentation des concepts développés par Pierre Calame autour de l’application au territoire de la théorie de la gouvernance (Séance 6. L’art de la gouvernance appliqué à la gouvernance territoriale), et en particulier du capital immatériel (Séquence 4.2. Capital caché : le capital immatériel), de l’oeconomie (Séance 4. Le territoire, acteur unique de la transition de l’économie à « l’œconomie ») et de sa proposition de création d’agences œconomiques territoriales (Séquence 5.4. Doter les territoires d’outils adaptés de connaissance et d’action: le concept d’Agence œconomique territoriale). La présentation s’est clôturée avec une réflexion autour de l’implication des citoyens dans la gestion de la société et des opportunités d’élargir et rendre plus efficace cette implication.

Sur la base des concepts et propositions de Pierre Calame, les participant•e•s ont mené une réflexion sur les nouvelles formes de consommation, cherchant à faire le lien entre le concept d’œconomie et les expériences de consommation alternative qu’ils et elles ont pu observer ou vivre. Ainsi, les participant•e•s ont souligné qu’il est intéressant aujourd’hui de voir l’importance de l’œconomie comme concept qui revalorise la dimension sociale et socioculturelle de la société et non plus seulement la croissance économique qui est perçue comme très impersonnelle et très éloignée du citoyen. De même s’est développée l’idée qu’il existe une pluralité de visions sur l’économie du futur proche avec la possibilité pour chaque société de développer un modèle économique alternatif avec une gestion hétérogène et non plus une seule et unique théorie qui devrait s’appliquer à tout le monde. Ces réflexions ont amené les participant•e•s à repenser le territoire comme un support du développement local dont il importe de connaître avec précision les spécificités, les limites et les potentialités.

La session s’est terminée avec une discussion autour du capital immatériel et des expériences de gouvernance et de consommation innovantes et en particulier l’expérience de réappropriation du territoire par les citoyens du Mouvement des Incroyables comestibles. Cette expérience anglaise part de la reprise du contrôle par les citoyens, avec l’idée que chacun et chacune peut agir à son niveau et sans attendre que quelqu’un d’autre prenne les décisions et les responsabilités à sa place.

Pour la troisième session, la première question d’amorce choisie fut “Qu’est-ce qui caractérise une bonne relation?” La question choisie était volontairement plutôt large pour que les participant•e•s puissent évoquer tous les types de relation possibles. Les réponses ont tourné autour des conditions nécessaires pour établir et maintenir de bonnes relations entre acteurs et en particulier entre acteurs travaillant ensemble dans le champ du développement. La session a continué avec une question complémentaire pour déterminer si les mêmes caractéristiques peuvent s’appliquer à la gouvernance.

Aux critères identifiés pour la première question, comme la confiance qui passe par le fait de reconnaître les droits et les devoirs de chacun et le respect - particulièrement important dans un contexte interculturel comme celui du Pérou - ont été ajoutés des éléments sur le sentiment d’appartenance à un territoire. Dans le cas de Lima, le sentiment d’appartenance au territoire local est très faible, même pour les acteurs qui travaillent dans le développement local tout en habitant à Lima, notamment parce qu’ils travaillent plus souvent en région et ne s’investissent que rarement dans leur propre ville. Par exemple, parmi les participant•e•s de l’Ecole citoyenne, aucun ne participe aux réunions du Budget Participatif qui leur permettrait de s’associer au développement de leur quartier. Finalement, s’il existe un critère fondamental pour la gouvernance tout comme pour les relations, c’est celui de la cohésion du groupe ayant pour objectif de gérer collectivement la société. Pour la gestion et l’administration de la société, il est nécessaire d’identifier les différents niveaux de gouvernance et de penser leur articulation.

Une présentation de quelques concepts développés par Pierre Calame autour de la gestion d’une gouvernance multi-niveaux est venue compléter ces réflexions. Tout d’abord a été présenté le principe de subsidiarité active (Séance 8. La gestion des relations entre échelles de gouvernance et le principe de subsidiarité active), qui signifie selon Pierre Calame que « j’exerce ma liberté à l’intérieur d’un certain nombre de principes dont nous avons convenu ensemble, et qui sont nécessaires pour respecter la cohésion et l’unité », puis les principes de la Déclaration de Caracas et le nouveau rôle international des villes. Toutes ces propositions ayant pour base un processus de changement, nous nous sommes penchés sur les stratégies de changement présentées par Pierre Calame.

Ce dernier point a guidé les discussions de la session, au cours desquelles les participant•e•s ont pu analyser les dynamiques de changement dans certains quartiers de Lima et en particulier le cas du quartier des Olivos. Ce quartier du Nord de Lima se détache nettement des quartiers voisins qui sont touchés par les problèmes économiques et sociaux, manquent d’accès aux services publics et sont principalement habités par des populations migrantes venues de l’intérieur du pays à la recherche d’une vie meilleure. Le quartier des Olivos est lui aussi peuplé par des migrants mais ceux-ci viennent s’installer en communautés organisées et achètent des terrains ensemble pour construire des “Coopératives de logement”. La dimension communautaire est fondamentale dans ce quartier, avec des réseaux d’entraide performants, des dynamiques de prêts entre particuliers et des dispositifs communautaires de microcrédit. Les populations qui s’y installent sont principalement des négociants qui viennent faire du commerce dans les marchés populaires de la zone et qui ont des revenus relativement stables, ce qui leur permet d’accéder très rapidement à des services publics de bonne qualité2 . Il est d’ailleurs souvent dit que l’activité économique des Olivos est égale à celle de San Isidro (qui est le district le plus riche de Lima), sans que cette affirmation puisse être confirmée puisque l’activité des Olivos passe en grande partie par le secteur informel. La croissance économique très forte du quartier a permit sa prise d’indépendance par rapport au district de San Martín de Porres (un district de la périphérie Nord de Lima historiquement touché par des problèmes sociaux et économiques) en 1989 et c’est aujourd’hui un quartier très attractif pour les Liméniens de la classe moyenne.

Bilan de la première École Citoyenne

Cette première expérience de l’École Citoyenne a réussi à mobiliser la communauté de collaborateurs d’ Escuela autour de la question de la Gouvernance Territoriale. La participation d’acteurs et d’actrices venant de domaines variés a permis de générer d’intéressantes réflexions autour de la réalité de la Gouvernance Territoriale aujourd’hui au Pérou et des défis à relever pour l’avenir.

L’utilisation de la méthodologie de l’Apprentissage Expérientiel Participatif a facilité la mise en place d’un échange libre d’une grande richesse. Il serait intéressant pour la prochaine version de prévoir une activité ou un outil qui permette d’approfondir la troisième étape du processus et que chacun et chacune fassent bien le lien entre les concepts présentés et son expérience propre.

Aujourd’hui, il reste à Escuela le défi de partager et de diffuser plus largement les idées et réflexions qui ont émergé de l’expérience de l’École Citoyenne, en particulier dans le cadre du Profadel.

1 Red Muqui, 2016, Balance y propuestas para el funcionamiento de los procesos de diálogo en el Perú. Casos de estudio: Piura, Cusco, Junín y Cajamarca, Red Muqui: OXFAM América, Lima, 67p.

2 Au Pérou le recouvrement des impôts locaux est un problème important pour les municipalités: dans certains quartiers une majorité des foyers ne payent pas leurs impôts locaux, et en conséquence les services publics sont de mauvaise qualité ou insuffisants dans ces zones.

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