Grandes voies cyclables vs ciclocalles : deux facettes de la cyclomobilité à Valencia (Espagne)

Eloïse Libourel, 2014

Les années 2000 ont vu apparaître à Valence une politique de mobilité prenant en compte le vélo dans la ville, avec les Plans d’infrastructures stratégiques 2004-2010 et 2010-2020 (Comunidad Valenciana, 2004, 2010). Des bandes cyclables (carriles bici) ont notamment été créées sur les principaux axes de la ville pour permettre aux cyclistes de se déplacer à l’écart d’un trafic routier assez dangereux. Depuis 2010, la politique de cyclomobilité s’est accentuée avec la création d’un réseau de vélos en libre-service « Valenbisí » et de ciclocalles, des rues à la vitesse limitée pour favoriser le partage de la voirie avec le vélo.

Ces aménagements se développent dans un double contexte. D’une part, le tourisme est de plus en plus demandeur de mobilité cyclable et les touristes (anglais, néerlandais, déjà habitués au vélo chez eux) constituent une cible privilégiée. D’autre part, le contexte de crise économique a accru la mobilité cycliste des résidents de la ville sous l’effet d’une double contrainte : l’acquisition, l’entretien et le déplacement en voiture sont de plus en plus chers de même que le permis de conduire, et dans le même temps trouver ou conserver un emploi demande une plus grande mobilité dans la ville. L’évolution des politiques urbaines en matière cycliste semble donc répondre à une hausse de la demande, mais elle se fait aussi de manière relativement discontinue sur le terrain.

1. Les projets cyclables à Valence, entre politiques de mobilité et aménagements prestigieux

La ville de Valence a connu de grands projets d’aménagement urbain dont les plus importants sont le détournement du cours du fleuve Turia pour en transformer l’ancien lit en coulée verte, la Cité des Arts et des Sciences (construite par l’architecte Santiago Calatrava) et le réaménagement de la darse Juan-Carlos-I en port de plaisance. Tous ces projets sont repris dans le Plan général d’aménagement urbain de Valence en 1988 (Ayuntamiento de Valencia, 1988).

Les Jardins du Turia, créés dans l’ancien lit du fleuve, sont entièrement aménagés pour accueillir piétons et cyclistes, notamment grâce à des accès en pente douce et à des voies dédiées aux cyclistes. Le cadre agréable et entièrement séparé du flux des voitures en fait un lieu de promenade le week-end, mais également un axe emprunté par les cyclistes au quotidien car son tracé traverse la ville. Au moment de sa création en 1986, le parc n’était pas destiné à devenir un itinéraire cyclable, mais à promouvoir une nouvelle image de la ville, image encore renforcée par des infrastructures touristiques majeures (Cité des Arts et des Sciences, Palais de la Musique…)

À partir des années 2000, la quête d’une mobilité plus durable amène Valence à définir des stratégies de développement de voies cyclables, sous l’impulsion des documents de planification de la Communauté autonome (Comunidad Valenciana, 2004). Des bandes cyclables matérialisées sont créées d’abord sur les plus grands axes. En 2008, les premières ciclocalles font leur apparition à Valence, mais elles restent peu nombreuses. Il s’agit de compléter le réseau cyclable valencien en partageant la voirie dans de petites rues. À cela s’ajoute l’installation en 2010 de vélos en libre-service, Valenbisí, inaugurés au moment où Valence accueille un grand prix de Formule 1. Le réseau compte plus de 1000 abonnés en quelques semaines à peine et son lancement est considéré comme un succès.

2. Les succès de la cyclomobilité à Valence

Les vélos en libre-service sont désormais très utilisés, notamment par les jeunes Valenciens et par les touristes. Les chiffres communiqués par la Mairie de Valence et relayés largement par la presse régionale (Las Provincias) et nationale (El Mundo, El País) font état de plus 100 000 abonnés en 2012 et d’environ 40 000 déplacements (d’une moyenne de 5 km) par jour. Le Jardin du Turia est quant à lui extrêmement fréquenté par les cyclistes, les coureurs et les promeneurs le week-end. En semaine, c’est un axe protégé et agréable pour traverser la ville sans croiser de voitures. Les pistes et bandes cyclables sont également bien utilisées, quoi qu’aucune étude chiffrée ne semble exister, notamment par des usagers ayant de plus en plus souvent leur vélo personnel. En effet, en 2013, il y a eu en Espagne plus de ventes de vélos que de voitures. Il existe aussi des loueurs de vélos fortement territorialisés (pour les touristes, assez chers, dans le centre ; pour étudiants, peu chers, sur les campus). Les bandes cyclables, bien matérialisées et séparées de la circulation, présentent l’avantage d’offrir des itinéraires protégés. Néanmoins, le dispositif est critiqué car il est discontinu, ce qui ne permet souvent pas de faire un trajet complet sans entrer dans la circulation automobile. Les bandes cyclables restreignent également l’espace des piétons. En effet, si les grandes artères ont des trottoirs très larges, ce n’est pas le cas d’autres rues où le partage entre les modes actif est plus difficile.

3. Une expérimentation de partage de la voierie : les ciclocalles

Les ciclocalles (littéralement « cyclorues ») sont situées entre les grands axes et sont destinées à relier les aménagements cyclables existants. Elles constituent une avancée car elles permettent d’améliorer la connectivité du réseau. Néanmoins, les rues traditionnelles du centre ville sont souvent étroites et encombrées de voitures (en stationnement et en circulation). Les ciclocalles sont apparues en 2008 à titre d’expérimentation, mais leur nombre a stagné depuis, malgré la promesse d’en créer 34 km.

L’observation de la fréquentation de ces ciclocalles révèle une très faible présence de cyclistes. Leur création a été saluée par la presse et les associations de cyclistes avant d’être critiquée pour leur insécurité. En effet, le partage de la voierie n’est matérialisé que par une bande tracée au sol et un panneau à l’entrée de la rue (limite la circulation automobile à 30km/h). Plusieurs critiques peuvent être faites. Tout d’abord, la signalisation est relativement peu visible pour l’automobiliste, comme pour le cycliste qui doit stopper à l’intersection pour savoir si la rue est aménagée ou non. Ensuite, les limitations de vitesse ne sont pas toujours respectées dans ces rues et il n’est pas rare de voir des automobilistes s’y engager trop vite. Enfin, le stationnement – des deux côtés de la chaussée dans la plupart des rues – est source de danger pour les cyclistes, qui craignent l’ouverture intempestive des portières. Cette expérimentation, si elle n’est pas entièrement satisfaisante, est une réponse à la double injonction de favoriser les mobilités actives en milieu urbain et de modérer les vitesses de circulation. En effet, Valence se propose d’appliquer, notamment dans le centre historique, les préceptes de la Ciudad 30 (Botella, 2013), la ville à 30km/h.

Au total, les mesures prises à Valence en faveur de la cyclomobilité répondent à une demande politique et sociale de mobilité active et d’abaissement des vitesses. Elles s’inscrivent donc dans une tendance observée dans toute l’Europe et dans la plupart des grandes villes occidentales. En Espagne, Valence fait partie des villes qui ont adopté des mesures concrètes en faveur du vélo, comme ont pu le faire Barcelone ou Madrid notamment. Toutefois, le cas de Valence est original car l’évolution des aménagements cyclables suit l’évolution des politiques urbaines, de la grandeur des projets à la réponse à moindre coût. En effet, les ciclocalles sont une manière de répondre aux attentes des citoyens et aux injonctions des plans de transport régionaux de façon assez peu coûteuse mais relativement visible dans l’espace public. Toutefois, cette mise en place s’est faite dans un environnement routier qui n’est pas nécessairement propice à la circulation des vélos. Du point de vue de la pratique, le vélo semble attirer de plus en plus de Valenciens, sans doute parce que la mobilité cycliste participe de l’évolution des mœurs des citadins en Europe, mais aussi sous l’effet d’une contrainte économique liée à la crise que traverse le pays.

Sources

AYUNTAMIENTO DE VALENCIA, 1988. Plan general de ordenacion urbana (PGOU).

BOTELLA, Diego Ortega, 2013. De piñones y pedales: Las nuevas velocidades de la ciudad. Federación Española de Sociología en ligne

COMUNIDAD VALENCIANA, Generalidad, 2004. Plan de Infraestructuras Estratégicas 2004-2010, Comunitat Valenciana. Valencia : Generalitat Valenciana.

COMUNIDAD VALENCIANA, Generalidad, 2010. Plan de Infraestructuras Estratégicas 2010-2020, Comunitat Valenciana. Valencia : Generalitat Valenciana.

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