Les potentiels des monnaies complémentaires face aux enjeux territoriaux : la dynamisation des échanges sur le territoire

Séquence 2.4 du MOOC

Marie Fare, novembre 2017

La dynamisation des échanges sur le territoire constitue le deuxième enjeu des monnaies complémentaires. La territorialisation des activités, doit mécaniquement conduire à une dynamisation des échanges dans la mesure où, en restreignant l’usage de la monnaie complémentaire au niveau local, les échanges internes devraient connaître une augmentation de leur volume et ainsi générer une augmentation de l’activité interne par effet multiplicateur, comme nous l’avons vu. Il est également possible de mettre en œuvre des mécanismes décourageant la détention monétaire (fonte monétaire) et/ou encourageant la circulation monétaire (accès au crédit automatique et gratuit ou microcrédit solidaire).

À télécharger : 2_les_monnaies_complementaires_dans_les_dynamiques_territoriales4.pdf (890 Kio)

Décourager la détention des avoirs monétaires

Un des moyens de décourager la détention de monnaie consiste à mettre en place une monnaie dite fondante ou franche. Ses principes ont été théorisés par Silvio Gesell (1948) qui proposait d’affranchir la monnaie de l’intérêt. Selon son principe de la fonte monétaire, la somme que chaque billet représente diminue à chaque période. La monnaie perdant un pourcentage de son pouvoir de paiement, le détenteur du billet doit parfaire la somme initiale en appliquant sur son billet des timbres. Autrement dit, elle subit un intérêt. En imposant ainsi des frais de conservation à la monnaie, on fait en sorte de favoriser la circulation de cette dernière puisque chacun s’en débarrasse afin d’éviter de payer le complément. Les théories de Gesell ont été expérimentées dans les années 1930 (en Europe, à Wôrgl par exemple, et en Amérique du Nord) et 1950 (France à Lignières-en-Berry dans le Cher entre 1956 et 1958, Brésil).

Derrière la fonte des monnaies mise en œuvre dans certains dispositifs de monnaies complémentaires notamment dans le cadre des Regio allemandes ou des MLCC françaises, on peut voir une dénonciation de la thésaurisation comme source d’accaparement de la richesse par une minorité. En pénalisant la détention des avoirs monétaires, la fonte permettrait également à la monnaie de circuler plus rapidement et serait donc source de dynamisation. Si cet effet est parfois contesté ou limité, il n’en demeure pas moins la fonction symbolique de la fonte et sa visée pédagogique – la lutte contre l’accumulation de la monnaie par quelques-uns – et le fait que la monnaie est partagée et le produit de la fonte susceptible de faire l’objet d’un usage collectif, ce qui revient à mettre en commun une partie de la valeur de la monnaie.

Injection d’un supplément de monnaie

Le deuxième mécanisme permettant d’encourager la circulation monétaire consiste à favoriser l’accès au crédit, à travers le crédit mutuel ou par la mise en place de systèmes ad hoc de microcrédit à la production et/ou à la consommation. Dans le premier cas, nous avons vu que certains dispositifs (SEL et banques de temps) reposaient sur le crédit automatique, gratuit et mutuel puisque la monnaie est créée lors de l’échange par débit et crédit simultanés des comptes. La monnaie ne préexiste donc pas à l’échange mais lui est consubstantielle. Dans le second cas, l’effet de dynamisation peut être accru dans certains dispositifs par l’introduction de microcrédit à la consommation ou à la production.

Pour résumer, l’accès au crédit peut permettre d’accroître le volume des échanges (par l’accès à certains biens ou services en proposant des moyens de solvabilisation supplémentaires aux particuliers par le microcrédit ou par le crédit mutuel) et de favoriser l’offre locale (notamment par la création de micro-entreprises), condition sine qua non du développement de la monnaie complémentaire et du développement territorial.

Cette combinaison, levier du développement territorial, pourrait être mobilisée pour asseoir la création d’un réseau d’entreprises éthiques et responsables selon la logique des filières et créer un territoire moins dépendant des flux extérieurs et donc plus résilient. Cela souligne l’importance du financement pour éviter des taux de conversion importants de monnaie interne en monnaie nationale dans la mesure où ces crédits servent à créer des entreprises locales pour répondre à des besoins locaux non encore satisfaits par les entreprises locales. Les fuites de la monnaie à l’extérieur de la communauté sont ainsi évitées. On observe cette association microcrédit et monnaie locale dans les banques communautaires de développement brésiliennes distribuant des microcrédits à la production et à la consommation. C’est également le cas de Sonantes.

Ces deux premiers objectifs (la territorialisation et la dynamisation des échanges) sont d’une part, dépendants de la capacité du dispositif à éviter les possibilités de conversion. En effet, moins il est possible de convertir la monnaie complémentaire en une autre monnaie, plus ces deux objectifs pourront être remplis : les revenus gagnés en monnaie complémentaire ne pourront pas en effet être employés en dehors de l’espace de circulation de la monnaie complémentaire, ce qui crée une contrainte de validité forte. Ceci explique pourquoi certains dispositifs limitent les possibilités de conversion aux professionnels ou établissent des taxes à la conversion. D’autre part, la diversité des biens et services proposés dans le cadre du réseau monétaire local, la variété des acteurs et l’ampleur du réseau sont des facteurs-clés de succès d’une monnaie complémentaire dans la mesure où ils permettent d’appareiller offre et demande sur le territoire.

Références

Gesell S., 1948 [1911], L’Ordre économique naturel (trad. Félix Swinne), Paris, Marcel Rivière.