Mobilité active et rapport à l’espace public des seniors parisiens

Nacima Baron, 2014

Le terme « senior » vient du latin et signifie « plus âgé ». Il recouvre communément les personnes à la retraite, qui forment non pas un mais plusieurs groupes démographiques et sociaux très distincts. D’un côté, on peut individualiser un ensemble de jeunes retraités actifs, en bonne santé pour la plupart. De l’autre, on a l’habitude de parler d’un « quatrième âge » qui correspond à des personnes souvent plus âgées, subissant davantage les effets de la vieillesse en matière de santé, et voyant par conséquent leur mobilité se réduire fortement. La question de la mobilité des seniors est donc complexe, puisqu’elle s’adresse à des groupes aux capacités très différentes. Elle est difficile à aborder pour les pouvoirs publics, parce qu’elle aborde transversalement des questions de logement, de déplacement, de suivi sanitaire, etc. Mais elle est incontournable. En effet, les générations du baby-boom d’après-guerre arrivent massivement à la retraite. En France, les 60 ans et plus représentaient un cinquième de la population en 2005 ; ils en constitueront un tiers en 2060 selon l’INSEE. Deuxièmement, les seniors sont de plus en plus nombreux à posséder le permis de conduire. Ils se déplacent certes moins que lorsqu’ils étaient actifs, mais plus qu’auparavant. Troisièmement, la mobilité est promue comme un véritable enjeu de santé, de développement urbain (avec le label « Villes amies des aînés ») ou encore de sécurité. Face à ce contexte, les objectifs sont de faciliter la mobilité, de promouvoir une meilleure santé publique, et aussi de favoriser le maintien de l’autonomie des seniors.

Cette fiche aborde les déplacements quotidiens des personnes âgées dans les grandes villes et s’appuie sur plusieurs entretiens. Le premier a été effectué avec Alexandra Ouareff, directrice de cabinet de Mme Cappelle, adjointe au maire de Paris, chargée des seniors et du lien intergénérationnel ; le second avec Florence Huguenin-Richard, maître de conférence à l’Université Paris Sorbonne, le troisième avec Marie, retraitée de 76 ans, résident à Moissy-Cramayel, en grande couronne francilienne, et le quatrième avec Madeleine et Michel, couple de retraités lyonnais , de 87 et 85 ans, qui habite le 5e arrondissement. Enfin, la fiche s’inspire des réactions entendues lors du Conseil des Seniors du 10e arrondissement qui s’est tenu le 4 décembre 2013.

1. Principaux motifs de déplacement des retraités parisiens

Beaucoup de retraités ont besoin d’un motif pour sortir : qu’il s’agisse de sortir acheter du pain, se rendre à une activité et, en général, les retraités se déplacent très régulièrement. Si les jeunes retraités consacrent une partie de leurs déplacements aux achats, une forte proportion d’entre eux consacre leur temps à des associations. Le maintien d’un lien social, d’un prétexte pour sortir est particulièrement important pour favoriser la mobilité quotidienne, qui est elle-même gage de santé physique et mentale. Ce lien avec l’extérieur maintient en forme, mais, par ailleurs, les Parisiens âgés ne sont pas très sportifs : dans un sondage mené auprès des plus de 60 ans (commandé en 2013 par la Fédération des prestataires de santé à domicile, 42% des interviewés a déclaré ne pratiquer aucune activité sportive….

Le rythme des sorties quotidiennes et leur motif se modifie pourtant au moment du passage à la retraite. Le nombre de déplacements quotidiens réalisés par un senior décroît progressivement dès 65 ans, et de façon plus forte après 75 ans selon l’Enquête nationale Transports et déplacements réalisée en 2008. L’aire géographique des déplacements et la durée de ces derniers se réduisent avec l’âge. Néanmoins, les seniors habitant dans les grandes villes ont beaucoup moins de difficultés à se déplacer que ceux résidant dans les espaces périurbains où la densité de services est plus faible et contraint les personnes âgées à parcourir des distances plus longues.

Le développement des services d’aide à domicile apportent bien évidemment un soutien très important aux personnes âgées en perte d’autonomie. Ils sont très développés dans la capitale. A la question de savoir si le développement de ces services contribue ou non à limiter la mobilité des seniors, les réponses sont partagées. Toutefois, selon les seniors interrogés et les participants au conseil des seniors, le personnel qui vient aider les personnes âgées encourage ces dernières à se déplacer, les accompagne pour des promenades, des courses simples. Le couple de retraités lyonnais a évoqué l’existence dans leur quartier, d’une association à grand succès dont les bénévoles étaient pour la grande majorité de jeunes retraités actifs qui aidaient les plus anciens à aller faire des courses ou au cinéma par exemple. Dans le cas de la retraitée résidant en grande couronne, à Moissy-Cramayel, beaucoup de ses déplacements reposent sur la solidarité de voisinage : voisins ou famille. Elle évoque aussi la possibilité d’emprunter un bus financé par le Centre communal d’Action sociale et destiné aux seniors, circulant une fois par semaine le mardi pour permettre à ces derniers de se rendre à la Mairie, à la Poste, au centre commercial. A Paris, la proximité des services (commerces, médecins, etc…) et la diversité des offres d’activités favorisent une mobilité hors norme dans la capitale. La Mairie de Paris propose une très large panoplie d’activités qui encouragent les seniors à se déplacer. On dénombre pas moins de 60 clubs seniors, des cours de sport gratuit grâce à la carte Senior, des universités permanentes, une cinquantaine de restaurants Emeraude etc.

2. Vieillir à Paris : un choix ? Comment les seniors perçoivent l’espace public parisien

On dénombre 20% de plus de 60 ans à Paris, soit une proportion équivalente aux moins de 25 ans dans la capitale. Cependant, il existe un contraste entre les seniors parisiens plus aisés et ceux qui sont plus précaires, moins favorisés en matière pécunière, mais également de relations, de compétences diverses. Cette précarité s’explique par une forte volonté de certains Parisiens de rester dans la capitale pendant leur retraite, mais aussi par la présence de migrants âgés venus travailler en France dans les années 1950, et qui ont décidé de ne pas rentrer dans leur pays ou région d’origine pour leur retraite.

Au cours des entretiens réalisés, les seniors parisiens ont affirmé utiliser le bus, lorsque les distances à parcourir étaient trop longues. Le métro leur est plus difficilement accessible bien qu’ils reconnaissent que des efforts sont régulièrement fournis en matière d’accessibilité. Les bus circulent régulièrement et sont très accessibles à Paris. Néanmoins, les seniors regrettent qu’ils soient souvent remplis en raison des nombreuses poussettes présentes.

« Faire des escalators montants ne suffit pas, les personnes âgées ont également du mal à descendre les escaliers… » (extrait d’un entretien lors du Conseil des Seniors 2013.)

La question du conflit d’intérêts dans l’espace urbain a été évoquée par les retraités lors de chacun des entretiens réalisés. Par exemple, beaucoup de rues manquent de bancs. Pour Madeleine, 87 ans, retraitée lyonnaise habitant dans le 5e arrondissement, c’est un véritable obstacle aux déplacements, même si, pour des questions de santé et d’hygiène, elle sort tous les jours pour marcher. Elle reconnaît toutefois que ses promenades seraient bien plus agréables si elle pouvait se reposer sur un banc tous les 400 mètres. Elle évoque également la largeur trop limitée des trottoirs. Ces derniers sont aussi parfois en pente, ils rendent la marche plus difficile.

Lors du conseil des seniors du 10e arrondissement, certaines personnes ont fait part de leur volonté de faire installer des bancs mais aussi des abribus en temps de pluie, notamment devant leur Mairie, rue du Faubourg Saint Martin. Néanmoins leur demande n’a pu être satisfaite car « l’installation de ce mobilier briserait la perspective sur la Gare de l’Est d’un côté, et la Porte Saint Martin de l’autre ». La question de la propreté, particulièrement à Paris, est revenue à plusieurs reprises. La saleté des rues décourage certaines personnes à sortir de chez elles, ou raccourcir la durée de leur sortie.

3. Les accidents, mais surtout la peur des accidents

Les accidents de la vie courante sont plus fréquents chez les personnes de plus de 65 ans. Chaque année, environ 6 % des personnes de 65 ans ou plus se blessent accidentellement à leur domicile ou lors d’un déplacement à l’extérieur. Pour les 65 ans et plus, les accidents de la vie courante résultent trois fois sur quatre de chutes survenant à domicile ou dans ses abords immédiats, et dans 15 % des cas de chutes sur la voie publique. A Paris, en 2012, 460 piétons âgés de plus de 60 ans ont été victimes d’un accident de la route. Parmi eux, 75 ont été blessés gravement et 10 mortellement, soit plus de la moitié des 18 piétons tués dans les rues de la capitale. Ces chiffres sont liés à la baisse de vigilance avec l’âge (champ visuel rétréci, acuité visuelle affaiblie, audition et réflexes diminués).

Les personnes âgées souhaiteraient pour leur sécurité un réglage des feux tricolores qui leur soit plus favorable, leur laissant le temps de traverser, une amélioration de la lisibilité et visibilité de la signalisation.

Un sentiment d’aversion pour la complexification et la “pression” dans les espaces publics et les transports en commun est aussi général. Michel, retraité lyonnais, reconnaît ne pas apprécier les transports en commun, car il se sent oppressé et brusqué par le surplus d’informations et la rapidité du monde urbain. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il emprunte plus souvent la voiture que le bus lorsqu’il doit parcourir de grandes distances.

« J’éprouve un sentiment d’agression face à la surinformation, à la rapidité aujourd’hui. J’ai l’impression de devoir être pressé quand je vais prendre le bus. »

4. La concertation avec les seniors

Le conseil des seniors du 10e arrondissement aborde un point non négligeable : la peur de la chute peut être un frein au déplacement car les seniors ont honte de tomber dans la rue. Cette notion de complexe français n’est pas anodine. En effet, en Allemagne ou au Canada, il est habituel de voir des personnes âgées circuler en déambulateur ou en fauteuil roulant dans la rue, ce qui n’est malheureusement pas souvent le cas en France. La police de Düsseldorf aide par exemple les seniors à utiliser correctement leur déambulateur. En Angleterre, il y a souvent des fauteuils électriques à l’entrée des commerces ou des musées.

Différents réseaux se mettent en place pour échanger sur des bonnes pratiques. Outre les Conseils des aînés, (qui se sont constitués à l’échelle de villes comme Villeurbanne, Besançon, ou encore Fontainebleau et où une instance consultative d’une quinzaine de membres intervient sur des sujets variés comme le logement, la santé, la culture et les transports), un nouveau réseau est apparu, le réseau « Villes amies des aînés ». Lancé en 2006 par l’Organisation Mondiale de la Santé, il a pour objectif d’inciter les villes à mieux s’adapter aux besoins exprimés par les seniors. Ce réseau conduit les techniciens de l’espace urbain à collaborer autour de l’aménagement et de l’accessibilité des espaces extérieurs et les bâtiments, à développer des programmes spécifiques dans les transports publics et dans l’adaptation des logements.

Pour adhérer à ce réseau, les villes candidates doivent dans un premier temps auditer les personnes âgées afin de recueillir leurs avis sur les difficultés de la vie urbaine quotidienne. De plus en plus de villes françaises ont fait le choix d’adhérer à ce réseau (Lyon, Dijon, Rennes, Angers, etc.) prouvant qu’elles sont soucieuses d’offrir un meilleur cadre de vie à toutes les catégories de la population. La Mairie de Paris juge cette structure stigmatisante et ne souhaite pas, pour cette raison, en créer une. Elle défend l’idée du vivre-ensemble et encourage les personnes âgées à s’exprimer lors des différents conseils de quartiers et autres rencontres publiques. Néanmoins, les 9e, 10e, 11e et 19e arrondissements parisiens se sont dotés de conseils des seniors dont le succès n’est pas négligeable. Par exemple, le conseil des seniors du 10e arrondissement travaille sur la fréquence de circulation des bus dans l’arrondissement et compte bien faire entendre sa demande par les autorités concernées par le sujet.

Ainsi, les besoins de mobilité des seniors sont pris en compte de manière croissante dans les décisions relatives à l’aménagement urbain et à l’espace public. Les formes de concertation et d’implication de ce groupe social se développent également à la Mairie de Paris. Cependant, la concertation permet de faire intervenir davantage de jeunes retraités actifs, en bonne santé, tandis que les services spécifiques ciblent des personnes plus âgées et plus vulnérables. De leur côté, les autorités organisatrices des transports prennent également en compte l’enjeu du vieillissement, souvent en lien avec la question de la mise en accessibilité des gares et pôles d’échange.

Sources

  • CERTU, Les seniors : un enjeu pour les politiques de déplacement, 2012

  • CERTU, Chronos, La mobilité des seniors en chiffres, juin 2013

  • GART, La mobilité des seniors : besoins de déplacements liés au vieillissement de la population, octobre 2009

  • Enquête Globale Transport, janvier 2013

  • Mairie de Paris, Bilan des déplacements en 2011 à Paris

  • Touboul Pia et al., « Comment adapter l’environnement pour favoriser la marche des seniors ? Une étude qualitative », Santé Publique, 2011/5 Vol. 23, p. 385-399.

  • Séminaire de Paris au GART, Mobilité des seniors et accessibilité de l’espace public, juillet 2004

  • Centre d’analyse stratégique, Vivre ensemble plus longtemps, la Documentation Française, 2010

  • OMS, Guide mondial des villes amies des aînés, 2007

  • Ils s’activent peu, Le Parisien, 18 Nov. 2013

To go further

  • Villes amies des aînés 

  • [a(http://www.seniors-domicile.fr/_lib_medias/files/177-684.pdf) Fédération des prestataires de santé à domicile