Les effets de l’autoroute, l’exemple de l’A75 (France)

Stéphanie Leheis, 2012

A partir du cas de l’A75, cette fiche aborde la question du potentiel de développement économique local des infrastructures de transport.

On trouve un travail approfondi de réflexions sur les effets réels d’une infrastructure du côté des géographes qui se sont intéressés aux autoroutes, comme par exemple avec les recherches de F. Plassard sur l’autoroute A71. Du côté du Ministère de l’équipement, il s’agit également d’un axe de réflexion important, que l’on retrouve au Setra1 et dans les Cete2 qui mettent en œuvre les premiers observatoires autoroutiers dans les années 1980. Trois questions sont alors posées : l’autoroute est-elle est facteur de développement industriel ? Est-elle un facteur de développement du tourisme ? Favorise-t-elle la croissance des pôles au détriment des petites villes ? C’est à partir des années 1990 que ces observatoires se formalisent vraiment, s’élargissant aux préoccupations environnementales notamment. Dès lors, les sociétés concessionnaires se sont saisies de cet outil, lançant des observatoires sur les derniers tronçons achevés (comme dans le cas d’APRR avec l’observatoire de l’A39). Nous nous intéresserons ici au cas de l’A75, qui a fait l’objet de plusieurs évaluations menées par le centre de recherche du Cnam de Millau, pour mesurer les effets de l’autoroute sur les territoires traversés.

L’A75 ou la Méridienne relie Clermont-Ferrand à Béziers et traverse 6 départements. Elle a la particularité de desservir des territoires enclavés, par le Massif Central. La construction de cette autoroute répond aux vœux de Valéry Giscard d’Estaing, dès 1975, de faire de la RN9 une autoroute mais le projet n’est véritablement lancé qu’à la fin des années 1980. L’autoroute est conçue comme un axe de délestage du couloir rhodanien (pour les circulations entre Europe du Nord et du Sud), et aussi comme un axe d’intérêt national pour désenclaver le Massif central. Le viaduc de Millau (mis en service en 2004) est un des ouvrages d’art de l’axe, qui a la particularité, outre sa prouesse technique, d’être la seule section payante de cette autoroute dite d’aménagement du territoire. Autre spécificité, c’est sur cet axe qu’a été expérimentée pour la première fois la politique du « 1 % paysage et développement » initiée par la Direction des routes. Il s’agit d’une politique d’incitation qui s’appuie sur un projet de Régions Intégrées d’Aménagement Touristique (RIAT) entre l’Etat et les acteurs socio-économiques et collectivités locales pour financer des projets locaux d’aménagement le long des nouveaux axes autoroutiers. Le principe est le suivant : l’Etat s’engage à consacrer 1 % du montant des investissements nécessaires à la construction de l’autoroute dans des projets locaux paysagers et/ou de développement. En échange les collectivités locales concernées doivent s’engager dans ses projets (généralement en doublant le montant débloqué) pour accompagner la réalisation de l’infrastructure. C’est avec cette politique que ce sont développés les itinéraires de découverte, qui invitent les automobilistes à sortir de l’autoroute pour découvrir une région, ou les villages-étapes.

Une première étude menée par le Cnam Millau a porté sur la création de richesses liées à l’A75 (synthèse de 2006). La richesse créée a été estimée à partir des montants de la TVA collectés sur la base d’informations adressées par la Direction générale des impôts, qui ont été agrégés au niveau cantonal sur la période 1995-2004 pour les six départements traversés par l’A75 à savoir : le Puy-de-Dôme, la Haute-Loire, le Cantal, la Lozère, l’Aveyron et l’Hérault. Compte tenu de ces données, les auteurs ont alors déterminé une " valeur ajoutée " qui leur a permis de donner une évaluation du supplément de valeur ainsi créé. Les cantons ont été classés par zones, en fonction de leur temps d’accès à l’A75. Les résultats obtenus diffèrent selon les départements traversés. Les ouvertures très morcelées dans le temps de l’A75, de 1988 à 2008, et la présence, aux deux extrémités de l’axe, des grandes métropoles régionales Clermont-Ferrand et Montpellier (très influentes dans leur département respectif), ôtent un peu de lisibilité à la démarche générale. Toutefois, l’examen du couloir de l’A75 formé par la Haute-Loire, le Cantal, la Lozère et l’Aveyron, démontre que la proximité de l’axe autoroutier est porteuse de richesse.

Mais ces richesses sont inégalement réparties dans l’espace. L’apport de croissance reste limité aux zones très proches de l’autoroute. Surtout l’étude a montré les limites d’un seul indicateur de mesure. D’où la proposition du Cnam de Millau de constituer un observatoire économique, pour mesurer les évolutions de multiples variables telles que le prix du foncier, l’emploi, etc. Il a pris la forme aujourd’hui d’une plate-forme de ressources en ligne, qui met à disposition du public l’ensemble des travaux de recherche et études sur les interactions entre l’autoroute et les territoires traversés.

Cette première étude portait sur tous secteurs économiques confondus. Une seconde sur le seul secteur du tourisme a ensuite donné lui à une autre synthèse publiée en 2008. Elle montre les effets hétérogènes de l’infrastructure sur le tourisme selon les départements. Le constat est fait d’une prédominance d’un tourisme de passage pour la Haute-Loire, le Cantal et la Lozère. En revanche, une tendance plus lourde se dessine pour l’Aveyron, avec une augmentation des séjours, et surtout un « effet viaduc », lié à l’attrait touristique du viaduc de Millau.

Ses travaux nous montrent au total la difficulté à trouver des instruments de mesure valides pour estimer les effets d’une infrastructure. Et surtout ils nous rappellent le rôle déterminant des collectivités locales et territoriales dans leur définition des politiques économiques et touristiques, pour accompagner les effets de l’infrastructure.

1 Service d’études sur les transports, les routes et leurs aménagements.

2 Centre d’études techniques de l’Equipement.

Referencias

Mallaroni, P., Boisse de Blac, S., Sigaud, J-E. (2006) Etude de l’influence de l’autoroute A75 sur la création de richesse entre Clermont-Ferrant et Montpellier. Rapport final : DRAST, PREDIT, Cnam Millau.

Mallaroni, P., Boisse de Blac, S., Sigaud, J-E. (2008) Infrastructure autoroutière et développement du tourisme. Le cas de l’A75 et de son impact éventuel sur le développement touristique pour les départements 43, 15, 48, 12 et 34, période 1999-2006. Rapport final : DRAST, PREDIT, Cnam Millau.

Zembri, P., Nicolas, J., Lacharme, I. (1999). Réseaux de communication et aménagement du territoire : état de l’art des approches de la géographie des transports. Rapport final, DRAST/PREDIT.

Voir le centre de ressources et de développement de l’autoroute A75. Il rassemble toutes les informations disponibles sur les interactions entre l’autoroute et les territoires desservis.