Les Ecoles Libres au Royaume-Uni

Pierre Bauby, Mihaela Similie, 2016

Face aux carences en matière d’offre scolaire, le Royaume-Uni a fait le pari de permettre aux parents de prendre l’initiative de créer des établissements scolaires adaptés à leurs attentes (nombre de places, approches éducatives, …). Ces initiatives, qui visent à améliorer la qualité du service public par une plus forte implication des bénéficiaires, soulèvent aussi d’importantes questions. Celles-ci portent sur le rôle de l’Etat dans la fourniture des services d’éducation, sur la nature du service public d’éducation et les risques de renforcement des inégalités sociales par une offre différenciée de ce service.

Au Royaume-Uni, le gouvernement a lancé en 2011 les premières écoles libres - free schools -, un système qui existait déjà aux Etats-Unis (Charter Schools) et en Suède. Au début des années 2000 déjà, le gouvernement de Tony Blair avait autorisé certaines écoles publiques à prendre leur autonomie. Actuellement, avec le projet des ‘free schools’ dans le cadre du programme Big Society1, il s’agit d’écoles créées et entièrement gérées par des organisations privées (œuvres caritatives, fondations, congrégations religieuses, groupes de parents, enseignants, universités, organisations économiques), mais financées par des fonds publics (l’Etat donne, comme pour les écoles publiques, de 3 000 à 4 000 livres par élève et par an dans le primaire et entre 7 000 et 8 000 livres dans le secondaire). Le ministère de l’éducation valide la création d’une école libre sous plusieurs conditions : que l’école réponde à une demande locale de la part des parents, qu’il y ait un projet éducatif et un plan financier, qu’il n’y ait pas de sélection des élèves à l’entrée. En général, une nouvelle école peut être créée en deux ou trois ans. Un comité directeur de l’école décide du recrutement et du licenciement, de la répartition des enfants par classe, du programme scolaire et des emplois du temps (volume horaire par matière, durée des vacances). L’activité des écoles est contrôlée par un organisme indépendant de l’éducation nationale, l’OFSTED (Office for Standards in Education, Children’s Services and Skills).

À la rentrée 2011, 24 écoles libres avaient été inaugurées, une cinquantaine d’autres établissements ont ouvert leurs portes à la rentrée 2012, en septembre 2013 il y avait 174 écoles ouvertes, en octobre 2014 il y en avait 252 et plus de 111 devaient être ouvertes en 2015 et ensuite 2. Il s’agit notamment des collèges et des écoles primaires ; le nombre de lycées est très minoritaire. En 2014-2015, 1,7 milliards de livres de subventions publiques ont été consacrés aux free schools, soit un tiers du budget alloué à la création de nouvelles places dans les écoles publiques.

Le gouvernement considère que ces initiatives vont entraîner une hausse du niveau d’instruction, du fait de la concurrence ainsi générée (les écoles libres ne peuvent pas pratiquer la sélection académique des élèves à l’entrée). Ces écoles devraient également mieux satisfaire la demande de places dans l’enseignement3, la procédure de constitution de chaque école devant prouver que les parents en sont demandeurs. Il s’agit d’une demande au sens large, qui ne se limite pas aux places nouvelles mais aussi à la demande d’une meilleure qualité de l’acte éducatif ou d’une école qui offre une approche distincte. Ainsi, un rapport parlementaire publié en 2014 a montré qu’environ 87% des places ouvertes dans les nouvelles écoles libres l’ont été dans des zones manifestant un besoin élevé ou sévère de places. Toutefois, au niveau du collège, seulement 19% des places nouvelles ont été ouvertes dans de telles zones4. Une analyse citée dans un autre rapport parlementaire5 a montré que 35% des écoles créées dans les quatre premières vagues n’ont pas répondu à une évaluation préalable des besoins. En fin, les écoles libres doivent aussi élargir le choix des parents dans des zones où les écoles existantes ont des performances faibles.

Des voix s’élèvent cependant, en particulier au sein des syndicats d’enseignants, pour dénoncer une fuite des fonds publics vers ces structures et une baisse des inscriptions dans les écoles « classiques », alors que le service public est mis à mal. Ces écoles libres soulèvent également des inquiétudes liées aux risques de dérives (méthodes d’instruction, programmes scolaires orientés…) »6. Les syndicats pointent aussi la dégradation des conditions et du temps de travail, la culture du résultat et le recrutement des professeurs non certifiés.

Pour sa part, Julie Ward, député européenne britannique, souligne dans son interview7 son attachement à l’école publique. Elle considère que les autorités locales sont les mieux placées pour assurer des opportunités égales pour tous, alors que les écoles libres risquent d’être très sélectives et donc peu représentatives de la diversité sociale.

Par ailleurs, le rapport parlementaire de mai 2014 manifeste des inquiétudes en ce qui concerne les standards de gouvernance dans quelques écoles libres, visant en particulier les cas qui ont manifesté une faible gouvernance et gestion financière.

Conclusion

Le développement des écoles privées au Royaume-Uni permet de remédier à certaines carences du système éducatif mais à ce stade elles semblent relever plus d’une orientation politique que de réponses adaptées à l’évolution des besoins. Pour leur part, les parents participent notamment en amont de la constitution de l’école, leur demande étant nécessaire pour motiver la demande de création de l’école. Ils ont aussi des possibilités d’adresser aux autorités de contrôle des plaintes concernant la qualité du service.

1 Davies J., 2013, Le paradoxe de la « Big Society » au Royaume Uni. Mutation et continuité de l’action publique, Fondation Jean-Jaurès, Observatoire de l’innovation locale, Note n°2, 24 mai 2013, 5p.

2 Department for Education, 2016 (2014), Free schools: open schools and successful applications, Transparency data, UK Government.

3 Selon le programme du parti Conservateur, les free schools permettront d’ouvrir plus de 270 000 places avant la fin de la mandature. (Conservative Party General Election Manifesto, April 2015, p. 34.)

4House of Commons, Committee of Public Accounts, 2014, Establishing free schools. Fifty-sixth Report of Session 2013-14, 9 May 2014. p.4

5 House of Commons, Education Committee, 2015, Academies and free schools. Fourth Report of Session 2014-15, 27 January 2015, p.55.

6 Voir: Voir: Mathieu B., 2015, « Free school : le boom de l’école libre à l’anglaise », L’Expansion, 4 septembre 2015, pp. 52-55. ; BBC, 2012, “Bradford free school One In A Million has funding cut”, BBC.com, 28 août 2012. ; Harrison A., 2012, “100 more free schools approved for England”, BBC.com, 13 juillet 2012.

7 Voir vidéo d’interview dans la rubrique « pour en savoir plus » de la séance (disponibles sur la plateforme FUN).

Referencias

Para ir más allá