Les mouvements sociaux urbains

Synthèse bibliographique

Marine Bourgeois, Mathilde Dedieu, 2009

Dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale (DPH)

Cette note de lecture a été réalisée dans le cadre du Master Stratégies Territoriales et Urbaines (2009) de Sciences Po Paris, sous la direction de Gilles Pinson. Elle revient sur l’évolution de la théorie du mouvement social urbain et des nombreux débats qui existent sur ce sujet.

Introduction

Définir le terme de « mouvement social » n’est pas aisé tant les acceptions sont nombreuses. On peut néanmoins souligner sa dimension d’action collective et sa réalité contestataire. L’analyse des mouvements sociaux connaît un vif développement dans les champs de la sociologie et des sciences politiques. Elle fait aujourd’hui l’objet d’un renouvellement théorique attentif aux formes et aux conditions concrètes des processus de mobilisation ainsi qu’à leurs relations avec l’environnement social et politique. L’aspect territorial revêt ainsi une importance croissante, qui se traduit par une réappropriation de la notion de « mouvement social urbain ». Apparue très tardivement dans la littérature en réponse à des évolutions sociétales singulières, cette analyse a érigé « la question urbaine » en question sociale prioritaire. Discutée par certains, oubliée par d’autres, elle reste malgré tout au cœur de la réflexion.

Car il s’agit bien de comprendre s’il existe une spécificité urbaine qui justifie que l’on supplante le terme de « mouvement social » par celui de « mouvement social urbain » :

Quelle définition apporter précisément à cette notion ? Et quelle pertinence revêt-elle aujourd’hui ?

Un tel questionnement suppose de revenir sur l’émergence du concept de « mouvement social urbain », sur les évolutions qui l’ont déterminée et sur les débats théoriques qui discutent de sa pertinence. Il conviendra ensuite d’analyser les tendances actuelles à la re-territorialisation de l’action collective, pourtant prise dans un double mouvement de globalisation et de décentralisation.

Des mouvements sociaux aux « mouvements sociaux urbains » : un déplacement du regard

La notion de « mouvement social urbain » est introduite par Manuel Castells comme une réponse aux insuffisances des interprétations traditionnelles des mouvements sociaux1, cristallisées dans les années 50 et dominantes jusque dans les années 70 (Pickvance, 2003). L’émergence de ce concept est motivée par un enjeu théorique fort, appuyée par des évolutions économiques, sociales et politiques incontestables. Se développent en effet, dans les années 60, des mouvements écologistes, des associations de voisinage, des communautés de squatters, qui engendrent un déplacement du regard vers « la question urbaine ».

Des mouvements sociaux aux « mouvements sociaux urbains »

L’émergence du terme de « mouvement social urbain » doit être lue à la lumière des évolutions historiques, économiques, sociales et politiques. L’engagement croissant de l’État – planificateur et organisateur dans la « ville keynésienne » - est une évolution majeure, un nouveau paradigme économique et social. Selon Castells (Pickvance, 2003), il coïncide avec l’apparition, au-delà des traditionnels conflits capital / travail (les luttes ouvrières), d’un second front d’opposition autour de la « consommation collective » (consommation de services publics). De manière presque paradoxale, plus les interventions de l’État sont importantes, et plus les conflits sont nombreux. Les mouvements sociaux urbains sont « une réponse des classes dominées à la crise urbaine » (Finquelievich, 1981) : ils sont une réaction aux contradictions structurelles du capitalisme et font apercevoir les possibilités de changement du pouvoir politique.

Ces nouvelles formes d’action collective sont portées par l’agrégation des syndicats, des groupes politiques et des groupes urbains, et diffèrent en cela sensiblement des actions traditionnelles (les syndicats ouvriers, les partis politiques). Ces mouvements sociaux ont trait aux questions urbaines dans leurs dimensions à la fois politique, économique et idéologique. Les travaux de Finquelievich sur Barcelone l’illustrent de façon convaincante : bien que de nombreuses luttes urbaines soient fondées sur des revendications économiques, elles ont très souvent des répercussions aux niveaux politique et idéologique. Ce changement de référentiel ne peut qu’induire un renouvellement théorique.

Les représentants du courant néo-marxiste (Castells, Lefebvre, Lojkine) rompent très clairement avec les différentes approches qui ont jusqu’alors dominé le champ des mouvements sociaux. Ils en dénoncent leur incapacité à cerner le pourquoi et le comment (Hannigan, 1985), autrement dit à ouvrir la « boîte noire » des mouvements sociaux. Elles tendent par exemple à réduire le conflit à une réaction pathologique qui nierait complètement le rôle du politique et sa capacité à mobiliser. Dans le sillage des événements de mai 68, Castells dépasse l’interprétation strictement politique et institutionnalisée du mouvement : il identifie une diversité de revendications, dont beaucoup portent sur des préoccupations quotidiennes (« les luttes urbaines »). Dans son ouvrage de 1983, The City and the Grassroots, il défend l’idée selon laquelle les mouvements sociaux ne sont certainement pas dépendants des règles et de l’institutionnalisation de valeurs et de normes dominantes : les mouvements sociaux doivent être distingués de cadres d’action établis (bureaucratie, corporations, etc.). Les auteurs partagent ainsi la vision d’une société autonome et décentralisée, capable d’une transformation radicale.

Les transformations sociétales, des pays développés comme des pays en développement – Argentine, Mexique (Finquelievich, 1981 ; John Walton, 1998), trouvent donc une visibilité dans de « nouveaux mouvements sociaux » ; Castells les qualifie d’urbains.

Une définition ambiguë des mouvements sociaux urbains

La notion introduite par Castells est ambiguë (Pickvance, 2003) ; elle a une double signification et un double usage. Elle renvoie d’abord à l’identification de caractéristiques spécifiquement urbaines, permettant aux villes de jouer un rôle stratégique dans les mouvements sociaux. Le mouvement social urbain est « une conscience collective de l’action née des problèmes urbains, capable de produire des changements qualitatifs dans le système urbain, dans la culture locale, et dans les institutions politiques, en opposition avec les intérêts sociaux dominants institutionnalisés » (The City and the Grassroots, p. 278). En cela, il se distingue de la participation (changements politiques et urbains symboliques) et de la protestation. Castells, à propos des squatters chiliens2, insiste sur le potentiel de changement que porte le mouvement urbain : il constitue une alliance entre les classes ouvrières organisées et les secteurs prolétaires non-organisés.

Pour autant, les critères de définition apparaissent très stricts et, comme le souligne Finquelievich (p. 240), peu de mouvements sociaux devraient finalement être qualifiés d’urbains. Cette définition peut néanmoins être interprétée de manière extensive, produisant un concept « fourre-tout » masquant la diversité des revendications : le mouvement social urbain peut en effet être perçu comme un ensemble d’actions citoyennes dans la ville. La première partie de The City and the Grassroots3 offre d’ailleurs un panorama de « crises urbaines » (Commune de Paris, grève à Glasgow en 1915, etc.), qui toutes mériteraient selon l’auteur d’être qualifiées de mouvements sociaux urbains. En assimilant tous les mouvements sociaux à des mouvements sociaux urbains, cette définition ne risque t-elle pas de faire perdre la spécificité urbaine du mouvement social et donc de rendre la notion de Castells inféconde ?

Walter J. Nicholls4 revient sur le rôle particulier de la ville dans la formation des mouvements sociaux. L’espace urbain est d’abord le lieu de la production, sur lequel intervient et agit l’État, par la distribution des biens de consommation essentiels (transports, logements, santé, etc.). Or rappelons le constat précédent : plus l’État intervient dans la sphère de la consommation, plus il se trouve lui-même confronté au problème de l’adéquation entre les attentes des capitalistes et des habitants, et plus les conflits sont nombreux.

Ces conflits - les mouvements sociaux urbains - s’articulent autour de trois variables :

La ville se révèle en outre être un terreau fertile à l’action collective ; elle facilite des types particuliers de relations qui rendent accessibles les ressources nécessaires à la mobilisation. Nicholls éclaire les apports de Castells en mettant ces conclusions au regard de la théorie des réseaux (Granovetter, 1973). C’est peut-être ce qui explique l’actuel regain d’intérêt pour une analyse territorialisée des mouvements sociaux.

Mouvements sociaux urbains et nouveaux mouvements sociaux : NMS vs. MSU ?

La théorie des mouvements sociaux urbains a en fait été relativement marginalisée. Elle a fait l’objet d’une appropriation par de nombreuses autres disciplines, qui ont fragilisé sa portée au sein même de son champ. Elle a de plus été mise à l’écart par les théoriciens des « nouveaux mouvements sociaux » (Touraine, Melucci) qui y voient un avatar des « vieilles mobilisations » en déclin (Pickvance, 2003). Ces nouveaux mouvements s’inscrivent dans le passage de la société industrielle à la société post-industrielle. Ils désignent de nouvelles formes d’action collective comme le féminisme, l’écologisme, le consumérisme, les mouvements régionalistes ou les mouvements étudiants. Les discussions théoriques restent cependant vives pour savoir si les mouvements sociaux urbains ne correspondent pas en réalité à de nouveaux mouvements sociaux.

L’analyse de Melucci, présentée par Erik Neveu dans La sociologie des mouvements sociaux, spécifie les dimensions propres à ces nouvelles mobilisations. En premier lieu, il s’agit de formes de protestation peu institutionnalisées – ce qui est aussi le cas des mouvements sociaux urbains présentés par Castells. Ils s’ancrent dans des espaces d’autonomie, sans rapport immédiat avec le politique : on n’observe plus d’associations fortes comme celles du syndicat et du parti politique. Les nouveaux mouvements sociaux portent ensuite des revendications plus expressives et qualitatives (« la gay pride »), moins économiques et politiques. On a là sans doute un point de divergence essentiel entre les théories de l’action sociale et des mouvements sociaux urbains. Il s’agit en effet de savoir si les revendications des mouvements sociaux urbains sont seulement matérielles ou peuvent prendre en compte les aspects non matériels caractéristiques des nouveaux mouvements sociaux.

Les « luttes urbaines » obéissent par ailleurs à un processus de politisation des problèmes urbains. Car c’est la conjonction du politique, de l’économique, du social et du culturel (« identity ») qui peut initier le changement. Enfin, les acteurs de ces nouveaux mouvements ne se positionnent pas dans un rapport de conflit de classes ; d’autres principes identitaires soudent ces mobilisations (être musulman, antillais, homosexuel, etc.). A l’inverse, dans The City and the Grassroots, Castells insiste sur le fait que les rapports de classe restent une source essentielle pour comprendre les transformations.

Les deux notions tendent à expliquer des phénomènes semblables mais mobilisent des interprétations sensiblement différentes. La dimension territoriale est laissée de côté par Melucci et Touraine. Ce dernier cantonne d’ailleurs sa définition du mouvement social à trois critères:

Le succès de la théorie des nouveaux mouvements sociaux a conduit à marginaliser le caractère urbain de l’action collective. Des travaux plus récents s’attachent cependant à « re-territorialiser » l’analyse en ravivant la « question urbaine » et le concept introduit par Castells.

Une rénovation du concept à la lumière de la ville globalisée : des mouvements sociaux urbains fragmentés et territorialisés ?

Considérant que les conflits urbains se concentraient sur des problématiques locales, la sociologie des mouvements sociaux les a longtemps marginalisés. Cette tendance est aujourd’hui mise à mal par le double mouvement de mondialisation et de décentralisation que connaissent les États et qui provoquent un regain d’intérêt pour le local et les luttes urbaines (Mayer, Hamel, Lustiger-Thaler, 2000).

Un regain d’intérêt pour les mouvements sociaux urbains

Dans le cadre d’une compétition globale des centres urbains pour la croissance et la centralité (Sassen, 1991), les villes apparaissent comme une interface entre le global et le local et les conflits qu’elles abritent prennent une nouvelle dimension. Les mouvements urbains apparaissent à la fois façonnés par des processus micro - et macro-sociaux. Ils se développent dans un espace social « extra-local » (Mayer, Hamel, Lustiger-Thaler, 2000). Prenant acte que la mondialisation bouleverse les structures sociales et économiques, un pan de la sociologie s’intéresse ainsi à la nouvelle structure de conflit émergeant dans les villes globalisées.

La décentralisation de nombreuses politiques publiques a également profondément renouvelé l’approche des mouvements urbains, que ce soit en Europe où l’État territorialise son action envers les plus démunis (Merklen, 2009), ou aux États-Unis, au travers des politiques de dévolution de compétences et de privatisation des politiques sociales menées depuis l’ère reaganienne. « La proximité se présente comme la clé de voûte des stratégies collectives » (Merklen, p.25), pour l’ensemble des acteurs.

Ainsi, une nouvelle perspective d’analyse – particulièrement développée parmi les chercheurs anglo-saxons – émerge faisant de la restructuration urbaine, due à la mondialisation et aux transformations du gouvernement local, le générateur de nouvelles lignes de conflits autour desquelles les mouvements urbains se structurent.

Un concept rénové autour de la figure de la ville globalisée

Les mouvements sociaux urbains sont aujourd’hui analysés sous le prisme de la globalisation. Que reste-t-il alors du concept de Castells ? De nombreux débats continuent de se développer cherchant à prouver ou infirmer la pertinence de son concept. Pour Mayer, les mouvements urbains des années 90 et 2000 ne sont plus ceux des années 70 et 80. Ces derniers étaient en effet inclus dans une mobilisation sociale plus large et montraient une cohérence globale, une certaine unité dans leur lutte pour l’amélioration de la consommation collective, et dans leurs échanges avec les gouvernements locaux. Au contraire, les mouvements urbains actuels se définissent par leur diversité et leur hétérogénéité. Ils sont fragmentés voire contradictoires. Si le concept de Castells permet d’identifier des lignes majeures de structuration des conflits actuels, notamment autour de la notion de consommation collective, il est aujourd’hui nécessaire de le dépasser pour dresser une typologie des luttes urbaines contemporaines et intégrer l’ensemble des mouvements urbains à l’œuvre.

Dans le chapitre « Urban Social Movements in an era of globalization », Mayer définit trois facteurs d’émergence, de reconfiguration et de structuration des conflits urbains sous l’effet de la mondialisation : la compétition des villes à l’échelle globale, l’érosion de l’État-providence et la reconfiguration du pouvoir local au travers du passage du gouvernement à la gouvernance. Les nouvelles formes de compétition urbaine et le développement de politiques entrepreneuriales (Jessop), dans le but de faire progresser la ville dans la hiérarchie urbaine mondiale, entraînent la restructuration de l’espace urbain et avec elle, des phénomènes de gentrification, de déplacements de populations, de congestion et de pollution, qui sont autant de sujets de mobilisation.

L’affaiblissement du Welfare State occasionne quant à lui un retour de la question sociale (R. Roth). La dualisation du marché du travail associée aux coupes dans les budgets sociaux font apparaître une nouvelle marginalité urbaine, qui structure l’apparition de nouveaux mouvements urbains, les mouvements des « sans » (sans-papier, sans-domicile fixe, etc.). Enfin, l’ouverture de la prise de décision locale à des acteurs non-gouvernementaux entraîne une forme de revitalisation politique des exclus en faisant appel à quelques-uns d’entre eux et en les transformant en « insiders ». Les mouvements sociaux peuvent alors s’institutionnaliser et se professionnaliser du fait de leurs relations avec les élites locales.

Mayer entre ici dans une seconde dimension de son analyse. Au-delà d’une extrême diversité des sujets de mobilisation, elle soutient en effet que les mouvements urbains contemporains se caractérisent par leur différenciation en termes de structures. La notion recouvre des mouvements variés - des mobilisations NIMBY portées par les classes moyennes aux « Poor empowerment groups » qui demandent plus de participation, se basent sur des discriminations locales manifestes et plaident pour un meilleur accès aux ressources urbaines. L’auteure pointe également l’existence de « Poor people’s movements » qui se mobilisent de manière spontanée et d’organisations « amies » plus structurées qui les accompagnent (Droit au Logement par exemple). Elle inclut également des formes très institutionnalisées de mouvements comme les « Community-based Organisations », héritières des mobilisations urbaines des années 70 et qui se sont transformées en associations caritatives financées par les gouvernements locaux.

Ainsi, la notion contemporaine recouvre une multiplicité de mouvements et d’organisations, au risque une nouvelle fois de se transformer en notion fourre-tout.

Vers une territorialisation des mouvements sociaux urbains contemporains ?

Une tendance semble cependant être à l’œuvre au sein des mouvements urbains : leur territorialisation, voire leur hyper-territorialisation.

Denis Merklen, dans Quartiers populaires, Quartiers politiques (2008) affirme que « tout conduit à penser qu’une bonne partie de l’identité des classes populaires migre du travail vers l’habitat » (p.20). Dans un contexte de déstabilisation de la société salariale et de désaffiliation des individus (au sens de la perte de sens du collectif, l’isolement et l’errance sociale), « le territoire est source de l’identité individuelle et collective ». « Aujourd’hui, la classe se territorialise » et le local est devenu le territoire privilégié de l’action collective. En effet, les classes populaires, touchées par le chômage de masse et la disparition de la figure de l’ouvrier, ne peuvent plus se battre sur la base du travail et se rabattent sur une identité territorialisée, le quartier. « Le quartier se constitue ainsi comme lieu de la révolte […] territoire de l’action et du déploiement de formes plus ou moins nouvelles de mobilisation ». (p.266). La nouvelle question sociale est donc à base territoriale. Émerge une « politicité à base territoriale », entendue comme une nouvelle socialisation politique des habitants à travers le prisme du quartier.

Cette hyper-territorialisation des mouvements sociaux urbains est également visible aux États-Unis au travers des Community-based Associations qui offre dans le quartier les prestations sociales auparavant assurées par l’État et aujourd’hui privatisées et contractualisées auprès de ces groupes. Elles servent ainsi de porte-voix aux revendications des quartiers mais aussi de réservoirs de voix, dans une logique de clientélisme rénové, pour les gouvernements locaux. De même, le community-organising, destiné à former les habitants des quartiers à l’action collective s’inscrit dans cette perspective territorialisée.

Cette territorialisation des mouvements urbains se développe enfin dans les nouveaux répertoires d’action collective basés sur le territoire et l’espace. Merklen dresse une liste de ces actions à partir de l’observation des mobilisations récentes en Argentine et dans les quartiers populaires français. Elles sont fondées sur l’utilisation de l’espace comme ressource stratégique : les « piqueteros » argentins coupent les routes, le habitants montent des « asentamientos » (occupations illégales de terre), etc. Du côté français, les émeutes de 2005 illustrent cette tendance, d’après Merklen, en dépit des débats toujours vifs sur la dénomination et l’interprétation de ces événements. Dans cette perspective, l’article plus théorique de Ripoll permet de souligner la place de l’espace au cœur des répertoires d’action collective contemporains (blocages, sit-in, etc.).

A la vision de l’espace comme ressource pour les masses urbaines qui n’ont pour pouvoir que leur nombre, l’auteur souligne les usages stratégiques qui en sont fait lors des mobilisations. Il distingue notamment le lien entre médiatisation accrue du champ politique et spectacularisation de l’action collective, en particulier dans son lien avec l’espace et le territoire : occupation de lieux symboliques des centres urbains, etc. Il s’agit en fait d’occuper l’espace public au sens concret pour l’occuper au sens abstrait, et entrer dans l’agenda politique.

Conclusion

Le concept de mouvement social urbain demeure donc ambigu et soumis à débats. Les travaux de Castells ont cependant enrichi l’analyse des mouvements sociaux et permis d’ouvrir la « boîte noire » de l’action collective dans la ville. Ils ont ouvert la voie à l’étude d’une dimension proprement urbaine des mobilisations - perspective qui s’est d’abord trouvée marginalisée mais qui fait aujourd’hui l’objet d’une réappropriation, en particulier dans le monde anglo-saxon.

Un tel approfondissement de la réflexion accompagne des évolutions historiques majeures : le passage de la question ouvrière à la « question urbaine », l’émergence de nouvelles revendications qualifiées de post-matérialistes et de citoyennes dans les années 60 et 70, et le retour actuel d’une question sociale territorialisée. C’est la transformation de la nature des mouvements sociaux qui engendre et initie les renouvellements théoriques dans le champ : l’émergence de la notion de mouvement social urbain en est un exemple.

1 Approches en termes de mobilisation des ressources, approches du structuralisme et de l’échange politique.

2 « The social Basis of Urban Populism : Squatters and the State in Latin America », partie 4 – page 209.

3 « Cities and people in a Historical Perspective », partie 1.

4 “The Urban Question Revisited : The importance of Cities for Social Movements”.

Referencias

Castells, M., The City and the Grassroots : a cross-cultural theory of urban social movements [Introduction, partie 1, partie 4, partie 5] (1983)

Finquelievich, S., “Urban Social Movements and the Production of Urban Space”, Acta Sociologica, Volume 24 – pages 239-249 (1981)

Hannigan,J.A., “Alain Touraine, Manuel Castells and Social Movement Theory : A Critical Appraisal”, The Sociological Quarterly, volume 26 - pages 435-454 (1985)

Mayer, M., Hamel,P., Lustiger,H., Urban movements in a globalising world, Routledge (2000)

Merklen, D., Quartiers populaires, quartiers politiques, La Dispute (2005)

Neveu, E., Sociologie des mouvements sociaux, Repères 207, La Découverte (mars 2005)

Nicholls, W.J., “The Urban Question Revisited : The importance of Cities for Social Movements”, International Journal of Urban and Regional Research, volume 32 (décembre 2008)

Pickvance, C., “From Urban Social Movements to Urban Movements : a Review and Introduction to a symposium on Urban Movement”, International Journal of Urban and Regional Research, volume 27-1 (mars 2003)

Ripoll, F., « Espaces et stratégies de résistance : répertoires d’action collective dans la France contemporaine », in Espaces et Sociétés, 2008/3, 134, p.83-97

Collectif, International Journal of Urban and Regional Research, volume 30.1, (mars 2003), Dossier « Debates and Development : Debate on urban politics, social movements and the legacies of Manuel Castells’ The city and the grassroots » (p.189-223).