Partage de l’espace public, des enjeux

2005

Conseil National des Transports (CNT)

Cette fiche a été sélectionnée et revue par Régis RIOUFOL, contributeur de la démarche « Une Voirie pour Tous » du CNT, coordonnée par Jean-Charles POUTCHY-TIXIER et Hubert PEIGNE.

Le partage de l’espace public implique des enjeux divers et variés. Cette fiche s’attarde sur 4 d’entre eux : le périurbain comme un lieu contraint dans ses choix et dans sa dépendance à la voiture, des territoires de taille différente qui n’ont pas les mêmes enjeux (de la vision globale à la réfection ponctuelle de la voirie), la coproduction d’un espace public par les citoyens, et la recherche d’une qualité durable de l’espace public.

Les enjeux sont à la fois importants et multiples, car ils touchent à la vie quotidienne des citoyens tout en figurant parmi les dépenses les plus importantes des collectivités territoriales.

Enjeux de sécurité, enjeux de maîtrise de l’urbanisation, enjeux de gestion des flux, enjeux de modification des comportements, enjeux de qualification, enjeux de démocratie locale, enjeux de lutte contre l’exclusion, enjeux de société, enjeux sociaux, enjeux d’environnement, enjeux de développement durable, enjeux de ne plus être considérés comme « les cancres de l’Europe » en la matière…

Cette première liste d’enjeux, qui ne sera pas plus longuement détaillée, touche à la fois l’ensemble des pouvoirs publics, et en premier lieu l’État, mais aussi l’ensemble des acteurs de l’aménagement, de l’économie et, bien entendu, des gens et populations concernées par l’espace public. Quatre grands enjeux particulièrement cruciaux pour l’avenir et qui nécessitent de poursuivre les réflexions et les actions dans la durée seront décrits dans cette fiche.

Le périurbain

C’est actuellement dans le périurbain que les enjeux de cohabitation sont les plus forts. Tout d’abord, parce que c’est dans le périurbain que les choix des gens sont les plus contraints et que la dépendance vis-à-vis de la voiture est la plus forte.

Ensuite, parce que traiter l’espace public périurbain, c’est traiter aujourd’hui l’espace public urbain de demain. Et parce que traiter l’espace public périurbain, c’est aussi traiter une partie des problèmes urbains d’aujourd’hui.

Le périurbain est également le lieu des interfaces et des flux, le lieu de « marché » du développement, le lieu où « ça bouge », le lieu des dynamiques. Il y a en effet dans le périurbain un marché en puissance des lieux de flux, avec développement d’attractions nouvelles et de comportements nouveaux liés aux flux et aux endroits où se concentrent les flux. La représentation de l’espace en a été complètement bouleversée, et des enjeux importants se localisent sur les interfaces des voiries et des espaces publics qui permettent de recomposer et d’articuler les échelles territoriales des flux et les échelles des espaces de la proximité1.

Toutes les mesures qui peuvent être prises pour une agglomération ne peuvent en outre se décider qu’à l’échelle complète de cette agglomération, c’est-à-dire en intégrant les problèmes des espaces périurbains dans la conception et la gestion des espaces urbains. Intégrer dans une perspective d’avenir l’ensemble des modes de déplacement, des modes de transport, des usages et des services tels qu’ils doivent évoluer ou se propager dans le périurbain est donc un des enjeux majeurs de la ville de demain.

Ce texte ne fait qu’effleurer les problèmes de l’espace public périurbain, car les vitesses y sont plus grandes, les recherches plus rares, les synergies avec les politiques de la ville et de l’habitat plus complexes, les municipalités souvent plus démunies. Mais aussi parce que passer par l’analyse des espaces publics fonctionnant dans l’urbain est souvent un préalable pour mieux appréhender les espaces périurbains.

Les travaux sur le périurbain sont donc à poursuivre et ils nécessitent encore beaucoup de recherches, d’observations, d’expérimentations, de suivis d’expérience et d’évaluations.

Les territoires

Au niveau territorial, les enjeux sont particulièrement importants pour les villes moyennes, les petites villes et les villages, aux services techniques réduits, et aux moyens financiers limités.

Si des grandes villes2 se sont engagées avec succès dès les années 80 dans la création de voiries pour tous, des petites villes connaissent encore en 2004 des échecs cinglants qui affecteront la vie locale pour des décennies. Les petites villes qui ne disposent pas de Plans de Déplacements Urbains (PDU) manquent souvent d’une vision globale des problèmes de mobilités liés à leur urbanisation et aux bassins de vie des populations locales.

Mais, pour les grandes villes, un autre enjeu important est également celui des « petits aménagements de la voirie du quotidien ». Il ne s’agit pas là des grands projets mobilisant de grosses équipes, mais des 80 à 90 % des aménagements qui constituent le lot quotidien des services techniques. La ville de Paris s’est par exemple dotée en juillet 2002 d’un Schéma Directeur d’Accessibilité de la Voie Publique aux Personnes Handicapées et elle a fait un énorme effort de formation au sein de ses services. Mais si cela donne de très bons résultats sur des projets d’une certaine importance, force est de constater que de nombreux petits aménagements, des réfections de chaussées et de trottoirs, des travaux d’entretien écornent ces principes, en particulier dans des détails qui en compromettent la qualité, et qu’au plan de la gestion, les services de voirie continuent à encombrer les trottoirs de poubelles qui entravent les cheminements des personnes à mobilité réduite.

L’enjeu est donc d’inciter les collectivités locales à se doter d’une méthode, d’un processus leur permettant de déterminer progressivement la vocation, l’affectation de leurs rues et espaces publics à certains usages, certaines fonctions, selon des caractéristiques de surfaces disponibles, de positionnement, d’aménagement, etc.

Certaines villes disposent déjà de méthodes, de règlements de voirie, de chartes de partage de la voirie, certes perfectibles, qui peuvent constituer des cadres et aides importants pour l’ensemble des collectivités territoriales.

Il y a aussi pour les collectivités territoriales d’énormes enjeux de compétences, de qualification et de formation touchant les décideurs, les projeteurs, les gestionnaires, les techniciens, les contrôleurs de travaux, les chefs d’équipe et les agents d’exécution. Les réseaux professionnels, et avant tout l’Association des Ingénieurs Territoriaux de France (AITF)3, ainsi que les revues et publications à destination de ces publics4, ont un rôle important à jouer dans l’ensemble du processus d’amélioration des compétences et des qualifications.

C’est un processus long et continu à poursuivre dans la durée et sur lequel les réseaux techniques compétents de l’État, tel le Centre d’Études et de Recherche sur les Transports, l’Urbanisme et les Constructions Publiques (CERTU), doivent continuer à s’investir pour identifier les meilleures pratiques françaises et étrangères qui permettent d’en tirer des enseignements méthodologiques ou techniques, pour mettre en synergie des acteurs, pour organiser des journées thématiques, et pour servir d’appui technique aux services des collectivités.

Les citoyens

Destiner la voie publique au public : il est navrant de devoir constater que ce soit aujourd’hui un enjeu, après des décennies de destination de la voie publique à l’automobile. Mais un des enjeux majeurs porté par les mots « cohabitation » et « sécurité » touche à la modification des comportements et à l’instauration de processus citoyens porteurs de nouvelles civilités permettant la mise en œuvre d’une véritable démocratie de proximité dépassant les affrontements traditionnels des « négociations à la française ». Les pays d’Europe qui ont commencé à instaurer des processus participatifs, des panels de citoyens dans les années 60 ou 70 ont parfois mis une vingtaine d’années à faire adopter aux décideurs et à l’ensemble du public de nouvelles attitudes et de nouveaux comportements responsables, basés sur des relations transparentes et un climat de confiance construits dans la durée.

Comme en matière d’environnement et de développement durable, la France fait trop souvent figure de « cancre européen » de la démocratie de proximité et de l’implication du public. Le processus est enclenché, mais là aussi il convient de poursuivre dans la durée les efforts envers la société civile afin d’arriver à un espace public coproduit qui ne débouche plus sur des mauvais compromis et qui puisse être approprié par l’ensemble des citoyens.

La qualité

Assurer une qualité durable, tel est l’enjeu liant pour l’espace public, mêlant les préoccupations économiques et financières, tant en investissement qu’en exploitation et en entretien, les préoccupations sociales et sociétales et les préoccupations d’environnement et de cadre de vie.

Les enjeux d’environnement sont avant tout de respecter les obligations réglementaires, tel l’article 20 de la Loi l’Air et sur l’Utilisation Rationnelle de l’Énergie (LAURE)5, et d’introduire dans l’aménagement, l’exploitation et la gestion des voies les problèmes d’énergie, de nuisances, de pollution, de sécurité… Mais c’est aussi d’introduire de nouveaux critères de qualité de vie, de qualité de ville, différents de ceux de jadis.

L’approche systémique développée n’est pas en elle-même uniquement un outil méthodologique, mais elle peut fonder un état d’esprit partagé pour concevoir une boîte à outils susceptibles de permettre aux acteurs et décideurs d’intervenir de manière beaucoup plus éclairée, dans une finalité globale de qualité.

C’est introduire aussi la qualité de service. On aurait pu illustrer ce problème de qualité de service par l’exemple d’une station thermale qui s’est spécialisée dans la médecine sportive et les soins pour certaines maladies et qui accueille énormément de sportifs de haut niveau, de personnes malades et de personnes âgées en fauteuils roulants ou marchant à l’aide de déambulateurs. Mais les « mauvais compromis » effectués avec la voiture sur l’espace public conduisent à un manque général de qualité tant pour les habitants que pour les « curistes », les touristes et les professionnels locaux du tourisme (commerçants, hôteliers, etc.)

Il reste encore bien du travail avant d’assurer les différents types de services par rapport aux différents types d’infrastructures de la façon la plus complète possible, d’établir un cadre d’harmonisation des services offerts par les voiries à partager et à gérer en commun par différents opérateurs, de proposer des processus et des techniques pour favoriser en toute sécurité, au-delà des conflits d’usages, l’accessibilité des voiries au plus grand nombre d’usagers et de modes. Cela restera pour longtemps encore un véritable défi. Et cela nécessite de poursuivre dans la durée le processus visant à offrir « Une Voirie pour Tous », étape indispensable pour garantir une « Ville Accessible à Tous ».

Ces éléments, ces enjeux, et bien d’autres points développés par ailleurs plaident pour une véritable mission de prospective proactive confiée à un réseau Scientifique et Technique aux champs d’investigations à la fois élargis et fortement centrés sur l’espace urbain et l’espace public. Les enjeux économiques sont par ailleurs énormes. Les élus locaux ont donc à cet effet un besoin vital de soutien.

1 Ce thème de « Faire la ville avec les flux » a été développé dans un séminaire international sur « la gestion des lieux d’échanges et les architectures de la mobilité » organisé les 29 et 30 mars 2004 par l’Institut pour la Ville en Mouvement ( www.ville-en-mouvement.com )

2 Telles Nantes

3 Association des Ingénieurs Territoriaux de France

4 Comme par exemple Techni.Cités

5 Loi sur l’Air et l’Utilisation Rationnelle de l’Énergie (LAURE) du 30 décembre 1996, Article 20 : « A compter du 1er janvier 1998, à l’occasion des réalisations ou des rénovations des voies urbaines, à l’exception des autoroutes et voies rapides, doivent être mis au point des itinéraires cyclables pourvus d’aménagements sous forme de pistes, marquages au sol ou couloirs indépendants, en fonction des besoins et contraintes de la circulation. L’aménagement de ces itinéraires cyclables doit tenir compte des orientations du plan de déplacements urbains, lorsqu’il existe ».

Sources

Ce texte est extrait d’Une Voirie pour Tous – Sécurité et cohabitation sur la voie publique au-delà des conflits d’usage – Tome 1 : Rapport du groupe de réflexion, Conseil National des Transports (CNT), 2004, publié par le CNT et La Documentation Française en juin 2005

Une voirie pour tous - Tome 1- pages 46-50