Rennes : renaturation : enjeux et mesures, comment outiller les territoires ?
Dossier FNAU (Fédération Nationale des Agences d’Urbanisme) n°64
Emmanuel Bouriau, juin 2025
Agence pour l’Environnement et la Maîtrise de l’Energie (ADEME)
Face à l’impératif de sobriété foncière et à l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) à horizon 2050, la renaturation s’impose comme un pilier complémentaire du renouvellement urbain et de la densification. En réinterrogeant nos rapports au sol, à la ville et à la nature, elle engage une transformation profonde de nos manières d’aménager les territoires. La FNAU vise à identifier des pistes concrètes pour construire, partager et mettre en œuvre une stratégie territoriale de renaturation. Ici l’exemple de Rennes (35)
À télécharger : fnau-64_rennes.pdf (210 Kio)

Un outil pour mesurer et suivre la renaturation
Au-delà de l’enjeu de sobriété foncière, la mise en oeuvre du ZAN pose aux collectivités locales la question majeure de la renaturation des espaces artificialisés. En effet, les villes doivent s’adapter pour répondre aux défis du dérèglement climatique et garantir un cadre de vie résilient et désirable pour les habitants. Dans ce cadre, l’Audiar a cherché, au travers d’un outil numérique, à définir les secteurs préférentiels pour renaturer la ville au regard de trois grandes dimensions répondant aux enjeux d’une ville soutenable : biodiversité, changement climatique et santé/cadre de vie. Ce travail s’inscrit dans le prolongement d’une méthode mise en oeuvre par l’Institut Paris Région dans le cadre d’un projet européen H2020 Regreen 1, auquel l’Audiar avait été associé en l’adaptant à l’échelle locale. L’outil vise à projeter les possibles – quelles surfaces sont concernées à date et sur quelles typologies d’espace – et à suivre la dynamique de renaturation sur le territoire dans le temps. Il vise ainsi au travers des données actuellement mobilisables à répondre aux exigences réglementaires du ZAN (consommation d’espace et artificialisation), mais au-delà à évaluer, à la maille fine, les réelles mutations en matière de renaturation et de désimperméabilisation au sein du tissu urbain. Outre l’approche ZAN, cet outil vise également à être utile au pilotage d’autres politiques publiques qui intègrent les enjeux de renaturation (coefficient de végétalisation, PCAET, plan canopée, stratégie de désimperméabilisation…). Pour fournir à ses membres un dispositif opérationnel et reproductible sur différents territoires, l’outil déployé à Rennes Métropole s’est construit sur une approche par le design et les besoins, associant des partenaires techniques de la métropole rennaise. Ceux-ci ont contribué à la définition des indicateurs ainsi qu’aux tests des différentes versions successives enrichies à la suite des échanges. Ils ont permis de faire évoluer l’outil dans une logique approche métiers, pour les planificateurs mais également pour les services gestionnaires, mettant en oeuvre concrètement la renaturation dans les aménagements et la gestion de la ville au quotidien. La question de l’échelle de prise en compte s’est rapidement posée, avec un constat commun du besoin de données plus fines que les outils proposés par le législateur pour mieux prendre en compte les dynamiques de renaturation à l’oeuvre à l’échelle fine des tissus urbains et des surfaces aménagées. Le déploiement de l’outil est en cours, avec une version en test auprès des services de la métropole de Rennes pour prendre en compte le retour utilisateur et s’adapter aux besoins, avant sa mise en ligne.
Identifier les secteurs potentiels de renaturation
Pour cibler les secteurs préférentiels de renaturation, il a été choisi par l’équipe projet de partir sur une approche « grosse maille », qui permet de faire le lien avec la population et les emplois présents dans les zones concernées. Le carroyage de l’Insee a été retenu, car il correspondait à ce double objectif. Le maillage large de deux cents mètres par deux cents mètres permet une vision d’ensemble par carreau de quatre hectares pour définir les secteurs urbains à enjeux prioritaires en fonction des trois angles retenus :
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Biodiversité : végétation milieux arborés et herbacés, réservoirs de biodiversité et trame verte et bleue fonctionnelle.
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Adaptation au changement climatique : îlot de chaleur urbain moyen, sensibilité aux inondations, sensibilité au ruissellement.
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Santé/cadre de vie : îlot de chaleur urbain intense, accès aux espaces verts et naturels par densité d’habitants, exposition aux nuisances (qualité de l’air et bruit).
Une note est attribuée à chaque composante permettant de regarder le carreau selon sa note globale (score simple affecté pour chacune des neuf sous thématique) et/ou les notes de chaque thématique, selon les enjeux qui pourront être choisis localement par le territoire concerné. L’objectif est de permettre à l’utilisateur de visualiser rapidement les zones de forts potentiels de renaturation via une grille carroyée graduée sur l’emprise de Rennes Métropole, de se déplacer et de zoomer sur les secteurs d’enjeux. L’utilisateur a la possibilité de sélectionner la note globale, ou par catégorie (biodiversité, adaptation et santé/cadre de vie) et sous-catégorie. Les couleurs du carroyage s’adaptent automatiquement entre le vert (faible potentiel) et le rouge (fort potentiel). Un histogramme vient renseigner la répartition de la note à travers les différentes catégories et permet de comparer le territoire sélectionné avec une échelle de territoire supérieure (Métropole, commune, IRIS 2, emprise écran…). Le curseur permet également d’obtenir les informations détaillées à l’échelle de la maille survolée (notes thématiques, population et emplois concernés).
Analyse de l’occupation du sol dans les secteurs potentiels de renaturation au sens du ZAN
Analyse de la renaturation au regard de la consommation d’espace et de l’artificialisation
Une fois la zone à fort potentiel de renaturation identifiée, l’outil permet de visualiser et d’analyser la composition urbaine et l’occupation du sol au travers de la carte (MOS), avec un graphique qui renseigne la répartition des catégories de la nomenclature du MOS Foncier. Cette analyse peut s’effectuer selon différentes échelles en fonction des périmètres géographiques retenus (Métropole, commune, quartier, Iris, maille ou affichage écran). Le graphique s’actualise en fonction de la sélection (commune, quartier, IRIS, carreau, zone affichée à l’écran). Une liste de sélection permet à l’utilisateur de pouvoir se concentrer sur certaines catégories (supprimer certains éléments de la nomenclature comme le bâti par exemple), mettant à la fois à jour les données du graphique et les données spatiales. L’outil permet aussi de visualiser la donnée OCS GE de l’IGN, permettant de calculer l’artificialisation comme défini par la loi, déclinée selon les besoins aux différentes échelles à analyser.
Les limites de l’analyse de la renaturation au travers des outils de mesure du ZAN
Le législateur a défini jusqu’à présent deux notions et deux temporalités pour le calcul de la mise en oeuvre du ZAN : d’une part, la consommation d’espace au travers des chiffres du CEREMA issus des Fichiers fonciers (ou de travaux locaux plus fins, le MOS Foncier à l’échelle de la Région Bretagne) et d’autre part, l’artificialisation post 2031 au travers de l’occupation du sol à grande échelle (OCS GE, nouvelle génération) produite par l’IGN3. Ces deux notions mesurent la renaturation au travers des outils définis et mobilisés, mais présentent des limites importantes pour l’appréciation réelle de la renaturation. En matière de consommation d’espace, seront considérés des espaces préalablement urbanisés et retournant dans le giron des espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF, au sens de la nomenclature du MOS). Certaines zones peuvent basculer au moment de travaux d’infrastructures (ligne à grande vitesse…) et créent des surfaces artificiellement renaturées (parcelles dans l’emprise des travaux retournant en classement agricole par exemple). Au regard d’un constat local et de réflexions menées sur d’autres territoires 4, il s’avère que des biais existent. Il est donc conseillé de compléter la donnée OCS-GE, produite automatiquement sur la base de bilans chiffrés par une analyse complémentaire (bilan des documents d’urbanisme, indicateurs de suivi) voire même de sondages de sols pour une meilleure connaissance des potentiels de renaturation et de restauration des sols 5. Le sujet de la nomenclature continue d’interroger, emportant de grandes surfaces naturelles herbacées au sein de l’urbain considérées comme artificialisées, même si elles ont fait l’objet d’une renaturation 6. À titre d’exemple sur Rennes, une ancienne zone industrielle de près de 3 hectares renaturée restera dite « artificielle » au sens de l’OCS GE, car non arborée, alors même qu’elle a fait l’objet de lourds travaux pour reconquérir son caractère naturel. Seul un classement via l’IGN 7 en application du décret du 27 novembre 2023 de la loi « Climat et résilience » permettrait une comptabilité différente au titre des parcs et jardins ouverts au public. La mesure des surfaces renaturées au travers de ces outils est donc à prendre avec précaution et nécessite une approche plus fine pour connaître la réalité de la renaturation.
Aller plus loin sur l’identification des secteurs potentiels de renaturation
En vue de mieux cerner les surfaces concernées par une renaturation potentielle et suivre la dynamique réelle à l’échelle des villes, d’autres sources de données ont été recherchées pour répondre à la finesse du tissu urbain et la taille parfois réduite des opérations. La donnée couverture du sol par intelligence artificielle de l’IGN (CoSIA) permet de mieux identifier ces surfaces et comprendre les dynamiques réelles de renaturation. Bien que cette donnée présente des biais (l’IA identifiant par exemple des zones agricoles en zone urbaine ou des vignes à la place d’autres cultures annuelles), elle a l’avantage d’être ouverte et gratuite pour les territoires, avec une actualisation prévue tous les trois ans et une couverture nationale. La nomenclature de cette donnée a été retravaillée pour correspondre au sujet traité et corriger certains effets de bord (zones définies agricoles correspondant à des zones herbacées urbaines par exemple).
Perspectives et enrichissement de l’outil
Au-delà des limites pointées sur les données, l’outil développé par l’Audiar permet de regarder, non seulement au travers du prisme du cadre réglementaire en vigueur, mais surtout au-delà, pour accompagner les réflexions sur les sites cibles de renaturation en lien avec les politiques d’aménagement des communes. Il offre un véritable intérêt pour identifier les secteurs d’action. L’outil va également permettre de suivre les espaces renaturés, même en dehors de la nomenclature ZAN, au travers des millésimes successifs (MOS, OCS GE et CoSIA), et de nourrir les réflexions et le suivi d’autres politiques publiques (plan canopée, stratégie de désimperméabilisation, stockage carbone…). Le retour utilisateur est essentiel pour que l’outil soit vraiment utile au territoire et l’échange avec les services de la métropole de Rennes va permettre d’y apporter les dernières modifications nécessaires à leurs approches métiers (planification, aménagement, gestion…) avant la mise en ligne.
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1 IPR, Quel potentiel de renaturation en Île-de-France ? Décembre 2022 (www. institutparisregion.fr/nos-travaux/publications/ quel-potentiel-de-renaturation-en-ile-de-france/)
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2 Îlots Regroupés pour l’Information Statistique, Insee
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3 Consommation d’espace période de référence 2011-2021 et artificialisation 2021-2031.
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4 IPR, place de la renaturation dans l’objectif ZAN, Copil n° 2, novembre 2024.
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5 Travaux ADEME à paraitre en septembre 2025 sur le sujet de l’approche multi-échelle pour intégrer les sols dans la stratégie territoriale (combinaison d’une approche cartographique et analyse de terrain).
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6 Une des limites tient au seuil de détection des surfaces qui peuvent être concernées par un changement de catégories de surface (2 500 m²).
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7 L’IGN a été mandaté par la Direction Générale de l’Aménagement, du Logement et de la Nature (DGALN) du ministère chargé de la Transition écologique pour créer une nouvelle base de données qui servira au calcul de l’artificialisation des sols. Cette base couvrira spécifiquement les parcs et jardins publics ouverts au public.