Aperçus métropolitains

2013

Monde pluriel

Même si la croissance démographique actuelle est plus la rapide, partout au monde, au sein des ensembles urbains qui regroupent moins d’1 million d’habitants, l’attention est souvent focalisée sur les organisations urbaines les plus importantes, les métropoles et mégapoles, notamment parce qu’on estime que celles-ci constituent une signature du processus d’urbanisation. En effet, elles cristallisent les principes de l’urbanisation mondialisée et en sont les « pilotes » — au sens de l’anglais « driver » : elles tirent et orientent le processus.

Dans l’acception courante, la métropole est une organisation urbaine de grande taille et dotées de fonctions supérieures, la métropolisation, le mouvement qui explique la concentration urbaine dans des métropoles. On établit ici un lien entre taille, fonctions métropolitaines, économie spécifique, rayonnement et polarisation de l’espace. La métropole s’impose alors comme un pôle de concentration spatial des hommes et d’activités qui affirme son rayonnement sur un territoire élargi — avec une internationalisation de l’influence qui serait l’apanage des vrais amas métropolitains. De très nombreux travaux abordent la question des seuils (sans qu’il y ait le moindre consensus, même si la barre des 1 million d’habitants est souvent utilisée pour séparer les métropoles des villes plus petites et celui de 10 millions pour séparer les métropoles des mégapoles) ainsi que celle, liée, des fonctions métropolitaines.

En la matière, la plupart des auteurs se retrouvent pour donner une primauté au développement d’activités urbaines « métropolisantes » : la finance, le services aux entreprises, l’entertainment, l’enseignement supérieur et la recherche, désormais, mais aussi la culture. On insiste aussi à l’envi sur le rôle du grand projet urbain et architectural, sur la recherche de signatures prestigieuses en la matière. On souligne le rôle de certains groupes sociaux, ceux que Richard Florida1 dépeint, en une mythologie puissante qui s’est imposée désormais comme une marque, sous les traits des «classes créatives », qui seraient les acteurs de la « sélection » des « vraies » métropoles. A l’inverse, certains analystes insistent plus sur la montée en puissance des clivages sociaux et de la fragmentation sociale et spatiale (la ségrégation), inhérentes d’une métropolisation conçue alors comme un processus critique d’adaptation urbaine aux lois d’airain de l’économie mondialisée.

En tout cas, de nombreuses études, expertises, comparaisons de toute sorte tentent depuis au moins 25 ans de classer les différentes « métropoles » avérées où les villes qui entendent accéder à cette « classe urbaine ». Assez souvent, en vérité, la notion de métropole semble peu fixée et précise. Il n’est d’ailleurs pas impossible de se demander si l’on ne pourrait pas infléchir la manière de considérer la question métropolitaine, afin de sortir des discussions un peu stériles pour savoir si telle ou telle organisation urbaine est ou non une métropole. Il s’agirait alors d’affirmer un postulat : la métropolisation est une évolution intrinsèque de l’urbanisation mondiale actuelle, qui toucherait, de plus en plus, toutes les organisations urbaines.

On décale alors l’angle de vision et on admet l’apparition d’une urbanisation contemporaine intrinsèquement métropolisatrice, quelle que soit la taille de l’organisation urbaine considérée. Tout ensemble urbain se métropoliserait donc, mais la mise en système de l’ensemble des processus ne se constaterait qu’au sein des organisations assez vastes pour former une fraction de société complète par rapport à la société de référence – ce qui relativise l’idée de l’existence d’un seuil fixe : 2 millions d’habitants cela peut être infra-métropolitain en Inde ou en Chine (Des métropoles aux mégapoles : l’exemple chinois) et très franchement métropolitain en Allemagne.

La métropolisation serait ainsi l’expression la plus spectaculaire de l’urbanisation mondiale : une prégnance qui reconfigure en profondeur les sociétés, les espaces, les modes de vie. Apparaîtrait aujourd’hui l’urbain-métropolisé, un type générique dont l’emblème serait à rechercher dans les plus grosses et développées des organisations, celles qui concentrent les potentiels et les problèmes, fixent les marchés et les productions de valeur ajoutée et constituent les espaces laboratoires de nouvelles pratiques et ainsi définissent des tendances, un air du temps.

Toutefois, si la métropole est une figure de la puissance et la métropolisation une image de l’accumulation de celle-ci, des renversements de tendance peuvent provoquer la ruine de ce qui avait été au sommet. On connaît des cas de métropoles qui, du fait même du changement des conditions de l’urbanisation, se sont atrophiées. Detroit (Voir Detroit par ses ruines), ainsi, est devenue l’emblème de ce que les spécialistes nomment les Shrinking Cities2. Ce fut pourtant au lendemain de la seconde guerre mondiale le pôle majeur de l’économie américaine. Par la présence des 3 grandes firmes de l’automobile (Henri Ford y créa sa première usine, en 1896) Detroit, surnommée Motor City, emblématisa, pour le monde entier, la métropole industrielle dans toute sa force — mais aussi dans toutes ses difficultés et contradictions. De 1900 à 1930 la population passa de 265 000 à 1 500 000, avant de culminer à 1 850 000 en 1950. Le développement urbain, très spectaculaire, autour du Lac Michigan aboutit à une industrialisation très brutale des rives, une pollution intense des eaux, alors que de nombreux taudis se développaient pour accueillir les travailleurs attirés par les perspectives d’emploi. Dès les années 20, la ville a été une destination privilégiée des migrations des afro-américains du sud des Etats-Unis et elle fut précocement le siège de tensions raciales très fortes. Des émeutes raciales eurent lieu en 1943, qui n’attinrent pas l’ampleur de celles de 1967, les plus importantes que les Etats-Unis ont connues.

Le déclin de Detroit s’enclencha au même moment que son ascension et prit la forme d’une périurbanisation précoce (à partir des années 1940) et intense des classes moyennes blanches — l’« Urban Flight ». Celles-ci trouvèrent dans les « suburbs » les lieux de vie domestique auxquels elles aspiraient, dont les maisons individuelles évoquaient d’ailleurs celles des quartiers plus centraux qui accueillaient classiquement les blancs dans des ensembles peu denses de résidences avec jardin. Surtout, ce déplacement leur permit de s’éloigner des populations noires. Cette dimension raciale fut particulièrement accusée à Detroit. Les évènements de 1967 accentuèrent le mouvement, qui fut aussi permis par la réalisation, sitôt après la seconde guerre mondiale, de pas moins de 5 autoroutes qui assuraient aux « commuters » de pouvoir gagner rapidement les lieux d’emplois, à partir des périmètres suburbains. L’automobile, dont Détroit était l’épicentre, a ici particulièrement amplifié le phénomène de ruine de sa ville de référence !

Le centre éponyme de la métropole vit son économie se déliter alors que, dans le même temps, les emplois se déplaçaient vers ces périphéries à la prospérité croissante. Entre 1947 et 1955, Ford, Chrysler et General Motors, construisirent plus de 20 usines autour de la City of Detroit. Les jeux combinés de l’évolution des contextes macro-économiques et des actions des individus (notamment des habitants blancs aspirant au confort des suburbs et à l’entresoi social et racial, mais aussi celles des opérateurs locaux de l’immobilier qui ont nourri, par intérêt, cette périphérisation) ont abouti à « Détruire Détroit3 ». Celle-ci ne comptait plus en 2010 que 713 000 habitants et 701 000 en 2012. Elle a perdu encore entre 2000 et 2010, 250 000 habitants, soit le quart de la population initiale ! — la Nouvelle Orléans après la dévastation par le cyclone Katrina ne perdit « que » 140 000 résidents. Peuplée à 75 % de noirs, elle concentre les populations les plus pauvres. Des quartiers entiers sont abandonnés — la municipalité ayant engagé une politique de destruction des maisons délaissées, installant un paysage urbain marqué par le vide, la déréliction. Pendant ce temps, les périphéries crurent continument et la population de l’aire métropolitaine, entre 1950 et 2000, passa de 3 millions à presque 4 500 000 habitants avant de connaître une diminution, suite à la crise grave de l’automobile, puis une stabilisation autour de 4 300 000, ce qui indique que les périphéries continuent de grossir, fût-ce lentement. L’actuel maire, poursuivant une action engagée depuis une bonne dizaine d’années, a beau lancer des actions très nombreuses et volontaristes pour redonner à Détroit une perspective, il ne put éviter la faillite retentissante de la municipalité, prononcée le 3 décembre.

Les textes de ce dossier tentent de cerner différents aspects de cette réalité métropolitaine contrastée, sans prétendre aucunement épuiser un tel sujet. Mais simplement poser des jalons qui balisent un champ, sur lequel nous reviendrons.

1 Richard Forida, The Rise of Creative Class, New York, Basic Books, 2002.

2 Voir le numéro 2 de l’excellente revue en ligne Urbanités (www.revue-urbanites.fr).

3 Jean-François Staszak, « Détruire Detroit », Annales de géographie, 1999, no 607, p. 277-299.

Références

Pour accéder à la version PDF du numéro 4 de la revue Tous Urbains

4 analyses

3 études de cas

2 ressources