Le périurbain, espace des retraités?

Eric Charmes, octobre 2015

Le peuplement du périurbain ne se limite pas à la figure archétypique du couple avec deux enfants logé dans une maison individuelle entourée d’un jardin. Dans les territoires de périurbanisation ancienne, où l’urbanisation s’est amorcée dans les années 1960 et 1970, les maisons individuelles abritent de plus en plus de retraités, et même des personnes très âgées (Berger et al., 2010). Certains voient là un problème pour le périurbain. Cet espace paraît en effet particulièrement inadapté au grand âge. L’entretien du jardin demande une énergie que les personnes âgées ont des difficultés à fournir. Surtout, le périurbain est l’espace de la dépendance automobile. Or la voiture est un mode de déplacement qui nécessite une certaine maîtrise de ses moyens physiques.

De nombreuses recherches ont été menées sur ce sujet aux Etats-Unis et au Canada et plus récemment en France (Streib, 2002 ; Lord, 2010 ; Berger et al., 2010 ; Morel-Brochet et Aragau, 2013). La conclusion est très claire : le vieillissement ne va pas conduire à un reflux massif de ménages vers les centres denses des villes. Dépendre de l’automobile peut être un problème, mais pour les personnes âgées qui ne peuvent plus conduire, les transports en commun sont rarement une solution de repli, surtout lorsqu’elles ne les ont pas utilisés auparavant. Par ailleurs, les relations sociales construites autour du domicile constituent un capital qui ne peut pas être déplacé. Or, avec l’âge, l’aide du voisinage devient cruciale. Plus largement, l’attachement au lieu de vie est souvent très fort. Cet attachement empêche d’envisager un déménagement autrement que sous la contrainte. Le vieillissement ne conduit souvent au départ du domicile que lorsqu’il impose le séjour dans une résidence médicalisée. Enfin, dans les quelques cas où le déménagement est malgré tout envisagé, c’est rarement pour s’installer au cœur d’une grande ville. Il s’agit soit de s’installer dans une zone au climat plus favorable, soit de s’installer dans un cœur de bourg voisin, pour bénéficier d’un accès piétonnier à des services, commerces et équipements de proximité. On observe d’ailleurs, en réponse à cette attente, de nombreux projets d’établissement d’accueil pour personnes âgées (EPHAD) dans les bourgs et petites villes du périurbain.

Par ailleurs, si le vieillissement de la population soulève incontestablement des problèmes, l’habitat individuel n’est pas nécessairement le moins armé pour y répondre. Les résidences pour « seniors » en témoignent. Aux États-Unis, on compte de nombreux ensembles résidentiels réservés aux personnes de plus de 55 ans (« active adult communities », « lifestyle adult communities » ou « retirement communities »). Ces ensembles résidentiels sont généralement des ensembles pavillonnaires. A Laguna Woods, dans le comté d’Orange, au Sud de Los Angeles, la moyenne d’âge est proche de 80 ans et l’habitat collectif est très peu présent (Le Goix, 2003). En France, ces résidences dédiées aux retraités actifs (à ne pas confondre avec les maisons de retraite) sont moins nombreuses qu’aux États-Unis, mais elles se développent (Vuaillat et Madoré, 2010). Or l’un des leaders du marché, qui vend des logements adaptés sous la marque « Les Senioriales » propose la plupart du temps des ensembles de maisons individuelles.

Cet « entre-soi générationnel » (Madoré et Vuaillat, 2010) n’est pas sans poser des problèmes. Il ajoute une nouvelle dimension, celle de l’âge, aux dynamiques de spécialisation sociale des espaces urbains. Il met également en cause les liens de solidarité entre générations. Aux États-Unis, dans certaines villes occupées quasi exclusivement par des retraités, telles que Sun City, les habitants refusent que leurs impôts servent à financer une école. Il n’y a donc pas d’école. La chose est d’une certaine manière logique si on considère que les personnes de moins de 55 ans ne peuvent pas résider dans la ville. Mais il s’agit d’une logique financière et comptable, éloignée des logiques qui devraient présider au fonctionnement d’un corps social solidaire. En France, de telles attitudes sont rares, et les retraités du périurbain restent de fervents défenseurs de leur école communale, mais les choses pourraient évoluer avec l’arrivée de nouvelles générations de retraités. Les logiques utilitaristes sont beaucoup plus présentes dans les mentalités des familles qui emménagent actuellement dans le périurbain que dans les mentalités de leurs homologues des années 1970.

Références

BERGER Martine, ROUGE Lionel, THOMANN Sandra et Christiane THOUZELLIER, 2010, Vieillir en pavillon : mobilités et ancrages des personnes âgées dans les espaces périurbains d’aires métropolitaines (Toulouse, Paris, Marseille), Espace populations sociétés. Space populations societies, n° 1, p. 53-67.

LE GOIX Renaud, 2003, Les « Gated Communities » aux Etats-Unis. Morceaux de villes ou territoires à part entière ?, Thèse de doctorat, Université Panthéon-Sorbonne-Paris I (consultable en ligne)

LORD Sébastien, 2010, Vieillir en banlieue pavillonnaire au Québec : entre choix résidentiels et contraintes, in Jean-Yves AUTHIER, Catherine BONVALET et Jean-Pierre LEVY (dir.), Élire domicile. La construction sociale des choix résidentiels, Presses universitaires de Lyon, p. 249-270

MOREL-BROCHET Annabelle et Claire ARAGAU, 2013, Rester ou quitter sa maison : l’ancrage résidentiel périurbain à l’épreuve du vieillissement, in Monique MEMBRADO et Alice ROUYER (eds), Habiter et vieillir. Vers de nouvelles demeures, ERES, p. 105-119

STREIB Gordon F (Ed.) 2002, Retirement communities, special issue of Research on Aging, vol. 24, n° 1, p. 3-154

VUAILLAT Fanny et François MADORE, 2010, Une affaire de générations: La construction d’un entre-soi à l’épreuve de la mixité intergénérationnelle, EspacesTemps.net