Développement soutenable, des institutions urbaines à recycler en urgence

Claude Jacquier, 2008

Dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale (DPH)

Cette fiche est extraite des propositions pour le Conseil européen des ministres de la ville, qui s’est tenu à Marseille le 25 novembre 2008.

Elle met en avant l’importance des institutions dans le sentiment de mal être des territoires urbains aujourd’hui et propose des pistes afin de faire évoluer ces institutions pour aller vers un développement soutenable des territoires.

Une des composantes des territoires, les institutions, publiques et privées que les gens construisent (institutions communautaires) et/ou qui s’imposent à eux (institutions sociétales) (Tönnies, Durkheim) est généralement négligée par les diagnostics et les stratégies mises en œuvre. Le mal être des territoires urbains est généralement imputé aux autres composantes (la dégradation des lieux, des gens peu recommandables) ou encore à leurs relations mutuelles (ne parle-t-on pas d’espaces criminogènes) mais rarement aux institutions. En fait, les villes sont plutôt malades de leurs institutions qui, en tant qu’artefacts historiquement datés, sont souvent devenues incapables de s’ajuster aux transformations de la réalité et d’assurer leur régulation. Les stratégies intégrées de développement urbain soutenable ont surtout mis en évidence le rôle déterminant qu’il faut accorder à cette dimension institutionnelle dans les dynamiques des villes (stagnation ou redéploiement).

La notion d’institution doit être comprise au sens large. Elle couvre l’ensemble des dispositifs de coordination des relations qui naissent au sein des composantes des territoires ou entre elles : des gens par rapport aux lieux (production, échange et consommation de biens), des gens par rapport aux gens (production, échange et consommation de services) ou encore les dispositifs de régulation de l’ensemble des relations qui prennent naissance au sein des sociétés (principalement politique). Ces institutions regroupent à la fois des entreprises industrielles et commerciales ou de services qui sont réglées par des conventions ou encore des institutions traditionnelles créées pour réguler et pour gouverner ces composantes des territoires (structures politico-administratives, associations, ONG, etc.).

Dans la première catégorie d’institutions figurent celles du champ économique au sens large (production, circulation et consommation des biens et services), et tout particulièrement les entreprises et les firmes, régies par des conventions particulières au sein desquelles se crée la valeur ajoutée et sont distribuées les rémunérations de ceux qui y ont contribué (rémunération du travail et du capital). Parmi ces institutions soulignons aussi celles qui sont chargées de prélever les contributions sociales et publiques, de les redistribuer et d’organiser les solidarités au sein du territoire entre les gens (solidarités sociales) et entre les lieux (solidarités spatiales). Les nouvelles approches de l’économie mettent de plus en plus l’accent sur cet encastrement nécessaire de la sphère de l’économique dans celles du social et de l’environnement. La seconde catégorie d’institutions regroupe celles qui sont supposées réguler les rapports entre les gens, entre les gens et les lieux où ils habitent ou travaillent et entre les institutions elles-mêmes, ce qui contribue à maintenir l’être et le vivre ensemble dans la communauté. Ce sont des institutions à caractère politique au sens où ces rapports ne peuvent être réglés ni par des procédures techniques, ni par les mécanismes du marché mais nécessitent de faire des choix qui obéissent à d’autres rationalités (éthiques, morales, idéologiques, choix stratégiques). Parmi ces institutions, il y a celles détentrices de la « violence légitime » (Weber), chargées de maintenir l’ordre civil au sein du territoire (police) et d’assurer sa défense à sa périphérie (armée). Le nom du territoire (toponymie) avec sa symbolique associée peut aussi être considéré comme une institution, particulièrement lorsque ce territoire fait l’objet d’une taxinomie classificatoire (cf. les qualificatifs à charge ou à décharge qui leur sont attribués).

Face aux mutations qui affectent les autres composantes du territoire, les formes institutionnelles existantes, résultantes de rapports sédimentés au fil du temps (activités économiques, services publics, organisations, associations) n’ont plus la même maîtrise sur les lieux et ne sont plus investies de la même manière par les gens et par les nouveaux arrivants. Outre le fait de perdre de leur efficacité, ces vieilles institutions ont assez souvent des effets régressifs (peu d’incitations à innover, voire blocage des innovations). D’autres organisations institutionnelles se substituent à elles ou doivent leur être substituées. Elles ne poursuivent pas obligatoirement les mêmes objectifs. Cette adaptation institutionnelle a besoin de temps pour se mettre en place et pour permettre un certain enracinement dans les lieux et auprès des gens pour être efficace. Parfois, les institutions existantes freinent ces nouvelles pratiques sociales et leur opposent des codes et des routines anciennes que celles-ci doivent contourner. Tout cela ne va pas sans conflits et peut déboucher sur des affrontements autour de la question de l’appropriation des lieux (voir les affrontements entre jeunes dans certains quartiers de la ville ou entre communautés de diverses origines), affrontements qui se manifestent par exemple par la dégradation et la dévalorisation physique et symbolique des lieux et de l’environnement, par des trajectoires résidentielles ascendantes ou descendantes des gens, par le caractère régressif d’institutions désormais vidées de leur contenu suite au départ, ailleurs, de ceux qui les avaient édifiées. Ce constat qui vaut pour certains quartiers de villes est extensible aux évolutions des institutions chargées de réguler les territoires métropolitains ou les régions urbaines.

La mise en œuvre des stratégies intégrées de développement soutenable nécessite la construction de nouvelles institutions de régulation et de gouvernance. Les travaux de recherche réalisés en Europe montrent que ces institutions font appel essentiellement à des mécanismes coopératifs (l’intérêt bien compris de coopérer propre aux économistes). Trois types de coopération ont été expérimentés et mis en œuvre au fil du temps : la coopération horizontale, la coopération verticale et la coopération transversale. Ces coopérations sont de nature conflictuelle.

Les options possibles pour le recyclage institutionnel :

1 GREMION, P. 1987. « L’échec des élites modernisatrices », In Esprit, Novembre, n° 11, pp. 3-8. JACQUIER, C. 2005. « On relationships between integrated policies for sustainable urban development and urban governance », in Beaumont J., Musterd S Governance, Decentralization and the Rise of Local Participatory Democracy ?, Tijdschrift voor Economische en Sociale Geografie, Vol. 96, N°4, the Royal Dutch Geographical Society KNAG, Blackwell Publishing, Oxford.

Para ir más allá