Okupas: les squats à Barcelone

Ingrid PETIT, 2008

Collection Passerelle

Cette fiche présente les squats de Barcelone, moins connus et plus tardifs que dans d’autres grandes villes européennes, qui aspirent à vivre autrement et à recréer du lien social.

Un panorama barcelonais

Une okupa est une occupation illégale et non reconnue de bâtiments abandonnés. L’usage du K indique l’idée d’une contre culture : il précise que cette occupation est pensée, politisée et revendicative.

Plus tardivement que dans d’autres capitales européennes telles qu’Amsterdam (cf. Amsterdam et ses squats ou Berlin, les mouvements alternatifs et les squats revendicatifs sont apparus à Barcelone, au début des années 1980, au lendemain de la période franquiste. Cependant, ils héritent d’une tradition libertaire liée aux mouvements ouvriers du début du XXe siècle et à une culture autonome catalane. Aujourd’hui, on peut considérer la métropole barcelonaise comme l’une des capitales internationales du squat.

Barcelone est une ville d’immigration nationale et, depuis peu, internationale. Elle est également une ville très touristique. Ces deux aspects obligent désormais la municipalité à réajuster une offre de logement essentiellement basée sur la propriété et avec un faible parc social1, à se positionner sur la vie ensemble et à s’accorder avec les très nombreux fonds d’investissements privés internationaux qui modèlent le visage actuel de la métropole catalane. Mais depuis dix ans, la ville connaît une flambée du marché immobilier2 qui s’accompagne de phénomènes tels que la spéculation, l’épuration sociale des quartiers ou le zoning3.

Ainsi, cette réalité touche aux conditions de vie de nombreuses populations (locales et immigrés, étudiants ou personnes âgées). Elle légitime les luttes des mouvements « alter » et anti-système contre les effets du capitalisme et les abus de pouvoir. Elle révèle un droit à défendre par tous : le droit au logement et à la mixité.

Parmi ces luttes, le squat est une réponse. Face à la situation barcelonaise évoquée, il revendique une indépendance nécessaire. Mais avec environ 250 okupas existantes au printemps 20084, on observe une grande diversité des motivations, des modes d’actions et des niveaux de radicalités, conférant ainsi, un sens différent à chaque okupa. En effet, les motifs menant au squat oscillent entre impossibilité financière, refus d’une connivence avec le système ou parfois, pour les plus jeunes, effet de mode ou d’identification. Les bâtiments squattés se situent aussi bien dans les quartiers centraux que dans les régions périurbaines et rurales. La taille des groupes d’occupants varie : Can Masdeu en compte quarante, La Makabra une centaine, mais on trouve souvent des collectifs de trois à quatre personnes. Parfois, un individu fait, seul, le choix du squat.

Malgré cette hétérogénéité se profile, parmi les okupas, un mouvement qui s’organise. Les assemblées locales et générales « Assemblea Okupa » en gèrent la vie interne. L’ « Oficina per l’okupació » conseille les squatteurs, archive les sollicitations. Les média libres « info usurpa » ou radio Bronka diffusent largement leur actualité. Enfin, le mouvement des okupas est celui d’un réseau qui se joint régulièrement à d’autres organisations de luttes sociales et altermondialistes (en faveur du droit au logement avec V de Vivienda, Arquitectos Sin Fronteras, ou des associations d’habitants ; en faveur du droit des femmes, de l’antimilitarisme, de l’environnement…).

Une proposition de vie quotidienne et d’habitat

L’okupa est une habitation qui prend part de manière souvent délibérée au contexte urbanistique dans lequel elle s’établit. Un bâtiment abandonné à des fins spéculatives illustre l’actualité immobilière d’un quartier. Un autre, à flanc de colline, révèle les pressions de la ville qui s’étend sur sa ceinture verte. Et le squat, par sa présence ou les activités qu’il propose, démontre les menaces qui pèsent sur la ville et les potentiels de son environnement.

Certaines okupas développent, au delà du logement, des activités artistiques et sociales sous forme d’ateliers, de débats, de soirées, au sein d’un centre social ouvert (CSO) ou « espace libéré ». Cela ajoute un degré supplémentaire d’ouverture au quartier voire à la ville. Au printemps 2008, on en comptait une soixantaine dans la métropole barcelonaise. Il s’agit de lieux de solidarité et de (re)création du lien social, d’un désir accru de participer simplement… en tant qu’habitant ! Les jardins de Can Masdeu sont entretenus avec les retraités du voisinage ; les projections et débats de Miles de Vivienda sont suivis par des travailleurs, des étudiants, des chercheurs ; les soirées flamenco de Ruina Amalia sont applaudies par touristes et passants. Mais le fonctionnement du CSO est parfois fragilisé par le manque de sécurité du bâtiment ou pour cause d’insalubrité.

Les okupas utilisent le cadre bâti inoccupé de la ville qui représente des surfaces disponibles immédiatement. L’objectif est de mettre à profit l’espace acquis et le temps imparti dans la conscience d’une expulsion possible. Il s’agit de faire valoir un droit à la ville pour tous et facilement. D’autre part, le squat permet de conférer une seconde vie aux bâtiments inoccupés : immeubles de logement ou villas résidentielles (Bahia), mais aussi bâtiments publics ou industriels tels que cinémas (Le miramar), orphelinats (Muchachos de Dios dans les collines Collserola), et usines (Can Ricart, La Makabra). D’un point de vue architectural on observe, dans cette appropriation du bâtiment, des organisations spatiales inventives du logement, un plaisir de l’auto-construction, et finalement une valorisation d’un patrimoine souvent non protégé.

Enfin, une okupa est une histoire collective. Il s’agit de faire ensemble au quotidien, entre okupants. C’est un mode de vie où les complémentarités (outils, idées, savoirs…) sont mutualisées dans la perspective de l’action. Le projet en est facilité et l’audace du groupe est renforcée. Ainsi, pour certaines, la vie collective passe par l’organisation des activités ou des luttes à travers l’« assemblea », par la gestion des lieux et des repas. Pour d’autres, le groupe importe surtout lors de l’élaboration du projet, ensuite on vit de manière indépendante, comme dans un immeuble classique.

Eléments d’urbanisme d’une lutte controversée

En juin 2007, la destruction surprise d’une okupa majeure, Miles de Vivienda dans la Barceloneta, quartier de plaisance du bord de mer, a illustré l’incompréhension des pouvoirs publics face aux activités et aux soucis des okupas. Le dialogue est en effet de plus en plus conflictuel. Les négociations avec les propriétaires privés sont presque inexistantes. Les expulsions sont régulières. Le squat en Espagne est poursuivi depuis 1996 par la justice civile et pénale. Dans la municipalité barcelonaise, ces poursuites sont plus agressives encore, avec, depuis deux ans, des expulsions « express », encadrées par la police locale des Mossos d’Esquadra. De plus, les journaux locaux relaient régulièrement la mauvaise réputation qui est faite aux okupas.

Ainsi squatter est un choix de vie particulier, dans lequel l’instabilité quotidienne demande une conviction forte et éventuellement la liberté de la jeunesse ; une possibilité d’émancipation personnelle, où l’habitation est un moyen et non une fin en soi. Que retenir alors des okupas, pour mettre en œuvre d’autres projets d’habitat ? Quelles pistes nous donnent-elles pour vivre ensemble autrement ?

Celle d’un projet qui promeut la mixité à l’échelle d’une ville, d’un quartier et d’une architecture. Où se côtoient usages et activités divers (habitat et travail, action sociale et création artistique). Où se rejoint une population variée (quels que soient les âges, les origines, les situations personnelles).

Celle d’un habitat qui repense le logement et propose de se loger mieux, de manière plus économique et plus spacieuse. Où les besoins et les services sont mutualisés. Où les solutions architecturales sont simples et flexibles.

Celle d’un lieu de vie qui compte sur l’énergie commune, dont l’existence est permise par un projet collectif et qui génère, ensuite, une pensée indépendante, une force intellectuelle de réflexion citoyenne.

1 En Espagne, 82 % des ménages occupent un logement dont ils sont propriétaires. D’autre part, selon le rapport de Miloon Kothary, rapporteur spécial de la Commission des droits de l’Homme des Nations Unies sur le droit à un logement décent, le nombre de logements sociaux n’a cessé de décliner. Le nombre de « Vivienda de Proteccion Official » (VPO) représentaient, au début des années 2000, 6.3 % des résidences principales contre une moyenne européenne de 13.7 %.

2 En Espagne, depuis 1997, les prix du logement ont augmenté de 150 % tandis que les revenus, eux, de 34,5 %.

3 Zoning : organisation de la ville par zones monofonctionnelles. Ici on habite, là on travaille, plus loin on consomme.

4 Selon le travail de recensement de l’Oficina per l’okupació.

Referencias

Cette fiche a été initialement publiée dans le n°1 de la Collection Passerelle. Vous pouvez retrouver le PDF du numéro Europe : pas sans toit ! Le logement en question

Para ir más allá

Pour en savoir plus

De nombreux chiffres concernant la situation du logement en Espagne sont consultables dans une étude publiée par l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région d’Île-de-France La situation du logement dans 6 pays d’Europe : Allemagne, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région d’Île-de-France Novembre 2007.

Report of the Special Rapporteur on Adequate Housing as a Component of the Right to an Adequate Standard of Living, and on the Right to Non-discrimination in this Context, Miloon Kothari : addendum. Geneva, UN, 7 Feb. 2008. 30 p.

¿Donde están las llaves? El movimiento Okupa : prácticas y contexto sociales, Ramón Adell Argilés et Miguel Martinez López, Editions Los libros de la Catarata, Mars 2004, Madrid

Oficina per l’Okupació

Can Masdeu

Bulletin hebdomadaire Info Usurpa